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La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution

La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution

Titel: La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution
Autoren: Jules Verne
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pauvres et douces créatures !… Mais si nous émigrons, tu nous suivras, Kernan.
    – Je vous rejoindrai, notre maître.
    – Tu ne partiras pas avec nous ?
    – Non ! il y a quelqu’un à qui je veux dire deux mots avant de quitter la Bretagne.
    – Ce Karval ?
    – Lui-même !
    – Hé ! laisse-le, Kernan ! il n’échappera pas à la justice divine.
    – Notre maître, j’ai idée qu’il commencera par la justice humaine !
    Le comte connaissait l’entêtement de son serviteur, et combien il eût été difficile de déraciner ses idées de vengeance. Il se tut donc, et, père et mari, toute sa pensée se reporta sur sa femme et sur son enfant.
    Ainsi son regard dévorait la côte. Il comptait les heures, les minutes, sans songer aux périls qu’une tempête lui eût fait courir. Toute l’horreur de cette guerre civile, dans laquelle les cruautés furent épouvantables de part et d’autre, lui revenait à la mémoire. Jamais sa femme et sa fille ne lui avaient paru courir autant de dangers ! Il se les représentait attaquées, emprisonnées, ou peut-être en fuite, attendant dans quelques rochers du rivage un secours inespéré, et parfois il se prenait à écouter si quelque appel ne parvenait pas à son oreille.
    – N’entends-tu rien ? disait-il à Kernan.
    – Non ! répondit le Breton, c’est un cri de goéland emporté dans la tempête.
    À dix heures du soir, Kernan reconnut le goulet de la rade de Lorient et le fort du Port-Louis, dont le feu étincelait dans l’obscurité ; il donna dans la passe entre la côte et l’île de Croix, et s’élança en pleine mer.
    Le vent était toujours favorable, mais il fraîchissait avec violence ; Kernan, quoiqu’il voulût aller vite, et malgré les impatiences du comte, dut prendre tous les ris de sa misaine et de son taille-vent. Le comte se mit lui-même à la manœuvre, et la barque, sans que sa rapidité parût avoir diminué, souleva de son avant les vagues écumeuses.
    Il y avait quinze heures que durait cette dangereuse navigation.
    La nuit fut épouvantable ; la tempête se déchaîna ; la vue des rocs de granit sur lesquels déferlait le ressac était faite pour épouvanter les plus intrépides ; la chaloupe prit le large pour éviter les récifs qui rendent si périlleux les accores de la côte bretonne.
    Les deux fugitifs ne purent trouver un seul instant de sommeil ; un faux coup de la barre, un instant d’oubli, et leur barque chavirait ; ils luttaient héroïquement et puisaient de nouvelles forces dans le souvenir des êtres chéris qu’ils allaient protéger.
    Vers les quatre heures du matin, l’ouragan perdit un peu de sa violence, et par une éclaircie Kernan releva dans l’est la position de Trévignon.
    Il pouvait à peine parler, mais du doigt il montra au comte de Chanteleine le feu vacillant du phare. Le comte joignit ses mains glacées, comme s’il murmurait une prière.
    La chaloupe donnait alors dans la baie de la Forêt, qui s’étend entre les bourgs de Concarneau et du Fouesnant.
    La mer était relativement plus calme, et les vagues abritées des vents du large y brisaient moins.
    Une heure après, l’embarcation vint se heurter aux rochers du cap de Coz avec une violence extrême. Le choc fut épouvantable, sans qu’il eût été possible de l’éviter, et bien que les mâts fussent à sec de toile. Le comte et Kernan, précipités dans les flots, parvinrent à gagner le rivage, tandis que la chaloupe défoncée sombrait devant leurs yeux.
    – Plus de traces, dit Kernan au comte.
    – Bien ! fit ce dernier.
    – Et maintenant au château, répondit le Breton.
    Leur traversée avait duré vingt-six heures.

IV – LE CHÂTEAU DE CHANTELEINE
     

    Le château de Chanteleine était situé à trois lieues du bourg du Fouesnant, entre Pont-l’Abbé et Plougastel, à moins d’une lieue de la côte de Bretagne.
    Les biens composant la propriété de Chanteleine appartenaient depuis un temps immémorial à la famille du comte, l’une des plus vieilles de Bretagne. Le château ne datait que du temps de Louis XIII, mais il était empreint de cette rudesse campagnarde que les murailles de granit donnent aux édifices ; on le sentait lourd, imposant, mais indestructible comme les roches de la côte. Cependant, il n’avait ni tours, ni mâchicoulis, ni poterne, ni guérite suspendue à l’angle des murs, comme des nids d’aigle, et il n’éveillait pas l’idée de forteresse ; dans la
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