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Journal Extime

Journal Extime

Titel: Journal Extime
Autoren: Michel Tournier
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temps pour rassembler les fils de ma vie qu’il y a trente ans. Et si le laps en question venait à se prolonger ? Ce serait la folie pure et simple. L’irruption tout nu dans les couloirs de l’hôtel et la prise à partie des clients et du personnel avec cette lancinante question : « Voulez-vous me dire où je suis et ce que je fais ici ! »
     
    Géographie des langues. Le cas de la langue allemande est extraordinaire. C’est la langue du pays le plus nombreux et le plus puissant de l’Europe, parlée par une centaine de millions de personnes (RFA, Autriche, Suisse alémanique). Mais à l’extérieur de ces frontières, plus rien. Il m’est arrivé de faire en Afrique des conférences dans les instituts Goethe sur la littérature allemande. On me demandait de les faire en français pour attirer un public plus nombreux. Les autorités de la RFA procèdent d’ailleurs à la fermeture de nombreux instituts Goethe (à Marseille notamment) faute de public intéressé.
    Le français est beaucoup moins délaissé qu’on s’efforce de le faire croire. Je fais des conférences en français dans le monde entier – récemment aux USA – avec chaque fois une salle comble. Il ne faut pas se dissimuler évidemment l’extension grandissante de l’anglais (combattue aux USA par la progression de l’espagnol. Rappelons tout de même que les USA n’ont pas de « langue officielle » comme la plupart des autres pays.), mais à quel prix ? On peut dire que les Anglais ont été dépossédés de leur langue par leur propre Commonwealth. Si l’on additionne les USA, les Indes, l’Afrique anglophone et l’Australie, on totalise une population cent fois plus nombreuse que l’anglaise et dont l’idiome est un volapük angloïde de nature à désespérer Cambridge et Oxford. L’anglais est une langue déracinée. Une langue peut-elle se passer de racines ?
    L’anglais est à l’origine un créole français. C’est à partir du XV e  siècle un français dont la prononciation et le sens des mots ont été dénaturés. Comme tout créole, il lui arrive de faire des trouvailles charmantes qu’aucun Français n’aurait imaginées et qu’il faut saluer. C’est le cas des « avions furtifs », ces appareils qui échappent aux détecteurs radars. On en trouverait d’autres exemples. Il y a aussi le sauvetage de vieux mots français irremplaçables, sottement abandonnés par la langue-patrie, telle la « guidance » dans l’expression par exemple : « Visiter un château sous la guidance de son propriétaire ».
    Mais à l’inverse il est stupide de renoncer à certains mots français sous prétexte que l’anglais ne les a pas retenus. L’anglais a adopté le français « futur » et négligé le mot voisin « avenir ». Ce n’est pas une raison pour sacrifier « avenir » et pour parler désormais du « futur d’un enfant ».

MARS
    Froid sec et ensoleillé. Le jardin est net et immobile comme une épure.
     
    Invité à l’émission de Bernard Pivot « Bouillon de culture » pour mon livre Le Crépuscule des masques. L’émission se déroulait un peu languissamment quand un jeune homme surgi du public fait irruption sur le plateau en brandissant un couteau. Je me dis qu’il va m’égorger devant les caméras et qu’il en résultera un formidable coup de pub pour mon livre. Hélas, il se soucie de moi comme d’une guigne. Il veut seulement la parole et menace de s’ouvrir la gorge si on ne le laisse pas parler. Pivot empêche le service d’ordre d’intervenir et lui donne trois minutes, il tient alors un discours véhément et confus, puis jette son couteau sur la table et s’enfuit. Son numéro a tout de même duré six minutes.
     
    Extraordinaire coïncidence. À quelques semaines d’intervalle, le Louvre et le Klassisches Museum de Francfort me font la même invitation : on suspendra au-dessus de ma tête le tableau de mon choix et je parlerai quarante-cinq minutes de ce tableau, mais aussi de tout ce qu’il m’inspire. À Paris, je demande Saint Sébastien soigné par sainte Irène de Georges de La Tour et à Francfort le Saint Sébastien du Titien.
    Dans mes deux discours, je glisse ce canard : l’empereur Dioclétien avait conçu pour son esclave Sébastien une amitié passionnée, et il aurait voulu lui faire jouer le rôle qui avait été celui d’Antinoüs auprès de son prédécesseur Hadrien. Il connaissait leur aventure par les mémoires de la confidente
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