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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps
Autoren: Hubert Reeves
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guerre stridents des Indiens, fondent au petit matin sur les habitations, y mettent le feu et massacrent les occupants au fusil ou au tomahawk. Seuls sont épargnés les femmes enceintes et les enfants. Non pas pour des motifs humanitaires, mais comme otages à échanger contre des prisonniers.
    C’est ainsi qu’à la fin de l’hiver 1725, un enfant de huit ans, Joseph Rives, est fait prisonnier à St. Mary du Maryland, au sud de Washington. Ses parents, John Rives et Jane Crine, récemment émigrés des Lowlands, au nord de l’Angleterre, n’auront pas la vie sauve. Dans le froid et laneige, bivouaquant la nuit, les prisonniers sont transportés en canoë sur la rivière Richelieu, du sud vers Montréal.
    Il y a quelques années, survolant cette région en avion, j’ai vu par le hublot le long tracé de ce cours d’eau encore bordé de glaces. Non sans émotion, j’ai tenté d’imaginer le voyage du petit Joseph. Je l’ai remercié intérieurement de sa vaillante résistance. Sans lui (et ses descendants…) je ne serais pas là 1 …
    Quelles séquelles l’assassinat de ses parents, peut-être commis sous ses yeux, son enlèvement et ce périple glacé lui ont-ils laissées ? Selon les archives de l’Hôtel-Dieu de Montréal, il est hospitalisé en 1739, atteint d’une grave maladie. Pendant sa convalescence, vraisemblablement sous la pression des religieuses, il « abjure sa foi protestante » pour embrasser la religion catholique. Il retrouve en tout cas suffisamment d’énergie pour épouser, en 1750, Catherine Perreault (mon arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère), une Québécoise, et lui faire cinq enfants. Il cultive une ferme à Pointe-aux-Trembles sur l’île de Montréal. Catherine Perreault meurt en 1760. En 1773, selon d’autres archives, Joseph épouse en secondes noces Charlotte Gaudry, « avec la permission du gouverneur ». Sous ces mots se cache la dure réalité politique de l’époque.
    C’est que le capitaine Wolf a gagné la bataille des Plaines d’Abraham à Québec et le Canada est devenu anglais. La loi martiale a été imposée. Dans un autre document, on lit : « Son Excellence Thomas Page, Gouverneur de Montréal, permet le mariage de Joseph Riewes avec Charlotte Gaudry. » L’altération de Rives en Riewes est sans doute imputable à l’illettrisme des militaires del’époque. Le nom de famille oscille entre plusieurs orthographes et se stabilise vers 1800 dans sa forme présente : Reeves.

    Deux enseignements
    La vérité peut être salutaire, même lorsqu’elle est cruelle. J’ai tiré de la lecture de cette chronique si dévastatrice pour notre « fierté nationale » de Canadiens français deux enseignements profitables. Le premier est que mes ancêtres français, contrairement aux propos édifiants transmis par l’école ou par ma famille, pouvaient être tout aussi belliqueux et cruels que n’importe quel autre peuple.
    Excités par les hurlements des Abenakis, ils avaient, eux aussi, du sang sur les mains. Des parents de Catherine Perreault ou de Charlotte Gaudry pouvaient avoir participé aux massacres de villageois endormis.
    À cet égard, j’aime à relater un fait que j’ai gardé en mémoire. Il y a quelques années, j’avais perçu, dans la bibliothèque d’une école d’astronomie au Portugal, les éclats de voix d’une vive dispute. Des chercheurs brésiliens critiquaient avec véhémence les exactions des colonisateurs portugais, auteurs de pillages et autres sévices abjects contre les populations indigènes. Un étudiant de Lisbonne tentait de défendre la réputation de ses compatriotes, auteurs de ces atrocités. Ses propos sur ce que la « civilisation européenne » avait apporté aux habitants de l’Amazonie lui valurent les rires sarcastiques de ses interlocuteurs et leur départ précipité. À cet instant, l’image du petit Joseph Rives, arraché à son village par des militaires français, me revint en mémoire.
    « Pourquoi, et au nom de quoi cherches-tu à tout prix à défendre tes ancêtres ? ai-je demandé à ce jeune Portugais. Tu n’es responsable ni de leurs exploits ni de leurs méfaits. » Son visage s’est soudainement détendu sous l’expressiondu soulagement que mes mots semblaient lui procurer, ce dont il m’a d’ailleurs remercié.
    Le second enseignement s’exprime pour moi en ces quelques mots : « La vie continue, même après le pire des drames. » Malgré la tragédie
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