Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne
Autoren: George Orwell
Vom Netzwerk:
ravin, à sept cents mètres au moins, le minuscule tracé d’un parapet et un drapeau rouge et jaune – la position fasciste. Je fus indiciblement désappointé. Nulle part nous n’étions proches de l’ennemi ! À cette distance nos fusils n’étaient d’aucune utilité. Mais à cet instant nous entendîmes des cris de surexcitation : deux fascistes, semblables de loin à des figurines grisâtres, étaient en train de grimper à quatre pattes le versant dénudé de la colline en face de nous. Benjamin se saisit du fusil de l’homme le plus proche, visa, et pressa la détente. Clic ! La cartouche rata ; cela me parut de mauvais augure.
    Les nouvelles sentinelles ne furent pas plutôt dans la tranchée qu’elles entamèrent une terrifiante fusillade au petit bonheur, sans rien viser en particulier. J’apercevais les fascistes, aussi infimes que des fourmis, qui se jetaient de côté et d’autre derrière le parapet ; parfois un point noir, qui était une tête, s’immobilisait un instant, s’exposant avec insolence. De toute évidence, il ne servait à rien de tirer. Mais au bout d’un petit moment la sentinelle à ma gauche, abandonnant son poste à la façon typique des Espagnols, se coula auprès de moi et se mit à me presser de tirer. J’essayai de lui expliquer qu’à cette distance et avec de tels fusils on ne pouvait toucher un homme que par le plus grand des hasards. Mais ce n’était qu’un enfant et il n’arrêtait pas de me faire signe avec son fusil de tirer sur un des points noirs, et il grimaçait en montrant les dents avec l’air de convoitise d’un chien qui attend qu’on lui jette un caillou. Je finis par mettre la hausse à sept cents mètres et je lâchai le coup. Le point noir disparut. J’espère que ma balle a passé assez près de lui pour lui avoir fait faire un saut. C’était la première fois de ma vie que je tirais un coup de feu sur un être humain.
    À présent que j’avais vu ce qu’était le front, j’étais profondément rebuté. Ils appelaient cela la guerre ! Nous n’étions même pas à portée de l’ennemi ! Je n’eus plus souci de ne pas laisser ma tête dépasser du parapet. Mais un moment plus tard une balle passa près de mon oreille avec un claquement rageur et alla s’enfoncer derrière moi dans le parados. Hélas ! je « saluai ». Toute ma vie je m’étais juré que je ne « saluerais » pas la première fois qu’une balle passerait au-dessus de moi ; mais il paraît que c’est un geste instinctif, et presque tout le monde le fait au moins une fois.

III
     
     
    Dans la guerre de tranchées, cinq choses sont importantes : le bois à brûler, les vivres, le tabac, les bougies, et l’ennemi. En hiver, sur le front de Saragosse, tel était bien leur ordre d’importance, l’ennemi venait bon dernier. Les fascistes n’étaient que de lointains insectes noirs que l’on voyait de temps à autre se déplacer par bonds. La préoccupation essentielle des deux armées était de se protéger le plus possible du froid.
    Il me faut dire en passant que durant tout le temps que j’ai été en Espagne, je n’ai vu que très peu de combats. Je me trouvais sur le front d’Aragon de janvier à mai, or entre janvier et fin mars il n’y eut rien ou peu de chose à signaler dans ce secteur, excepté à Téruel. En mars on livra de sérieux combats autour de Huesca, mais personnellement je n’y ai guère participé. Plus tard, en juin, il y eut l’attaque désastreuse de Huesca au cours de laquelle plusieurs milliers d’hommes trouvèrent la mort en un seul jour ; mais j’avais été blessé, mis hors de combat auparavant. J’ai rarement eu l’occasion d’affronter ce que l’on considère habituellement comme les horreurs de la guerre. Aucun avion n’a jamais lâché de bombe dans mes alentours immédiats, je ne crois pas qu’un obus ait jamais éclaté à moins de cinquante mètres de moi, et je n’ai pris part qu’une seule fois à un corps à corps. (Une seule fois, c’est une fois de trop, je puis vous le dire !) Naturellement je me suis souvent trouvé sous le feu nourri d’une mitrailleuse, mais la plupart du temps d’assez loin. Même à Huesca on était en général relativement en sécurité, si l’on ne négligeait pas de prendre les précautions raisonnables.
    Là-haut, sur les hauteurs autour de Saragosse, c’était seulement l’ennui combiné à l’inconfort de la guerre de tranchées. On menait une vie
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher