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En ce sang versé

En ce sang versé

Titel: En ce sang versé
Autoren: Andrea H. Japp
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se demanda s’il ne ferait pas mieux de revenir au demain. Toutefois, il devait impérativement obtenir une confirmation de ce que lui avait appris maîtresse Hase 8 , l’aubergiste de la Hase 9 Guindée, un établissement de bonne tenue sis 10 rue des Poupardières dans lequel il avait logé durant son séjour à Nogent-le-Rotrou.
    Tentant d’éviter les serviteurs qui lui évoquaient les hôtes d’un poulailler à l’approche du renard, tant ils s’agitaient en tous sens sans sembler vaquer à une tâche précise, il rasa le mur du large couloir dallé de pierres gris pâle et s’approcha du bureau du seigneur sous-bailli. La porte à double battant sculpté en était entrebâillée. Hardouin frappa et patienta. Nulle réponse. Il s’apprêtait à pénétrer sans invite lorsqu’un vieux serviteur perclus de douleurs de vieillerie 11 , celui qui leur avait porté des gobelets d’infusion quelque temps plus tôt, une éternité auparavant semblait-il, se planta devant lui, la mine défaite, les yeux humides.
    — Avec tout mon respect, messire, n’entrez pas. J’ai cru comprendre que… mon maître vous tenait en belle estime… Il offre rarement un en-cas 12 de bouche à ses visiteurs…
    — Mais que…
    Le vieil homme hocha la tête, attristé, et l’exécuteur le sentit au bord des larmes. Pourtant, il se souvint avoir été agacé par le peu de civilité que lui avait manifestée Tisans lorsqu’il les avait servis.
    Hardouin tenta de le repousser avec gentillesse, mais l’autre résista, balbutiant :
    — Sa fille, son aînée… vient de trépasser.
    — Quoi ? Ah quelle affreuse nouvelle ! Une fièvre ?
    — Une malemort, chuchota le vieillard en baissant le regard. Je n’en sais guère davantage.

    Hardouin fouilla ses souvenirs. Arnaud de Tisans ne lui avait jamais fait de confidences. Après tout, pourquoi se serait-il épanché devant son bourreau, le plus indigne de ses serviteurs, quoique le plus précieux ? Cependant, les clabaudages et les indiscrétions allaient bon train dans les villes de moyenne importance, et tout le monde s’y connaissait. Aussi avait-il glané quelques informations au sujet du sous-bailli. Tisans avait eu cinq enfants de deux lits. Sa dernière épouse, bien plus jeune que lui, était morte quelques années auparavant, en relevant de couches. Hardouin avait vaguement entendu parler de son aînée, à l’évidence sa préférée, devenue moniale aux Clairets, sans toutefois se souvenir de son prénom.
    Il décida de passer outre le conseil du vieux serviteur et pénétra dans la salle d’étude d’Arnaud de Tisans.
    Le sous-bailli se tenait debout, derrière sa table de travail, le regard vide, fixé droit devant lui, mais Hardouin ne fut pas certain qu’il l’eût vu. D’habitude d’une fringante cinquantaine, il semblait avoir vieilli de vingt ans en quelques jours. Les rides légères qui sillonnaient son visage s’étaient creusées et sa peau presque grise évoquait un masque mortuaire.
    — Seigneur bailli… Je… Un serviteur…
    — De grâce, l’interrompit Tisans d’un murmure à peine audible, semblant émerger d’un univers de cauchemar.
    Il récupéra le court rouleau d’un message sur son bureau et le tendit à l’exécuteur des hautes œuvres d’une main tremblante. Celui-ci n’hésita qu’un bref instant avant d’en prendre connaissance.
    Messire bailli,
    Il est des missives qu’on prie pour ne jamais devoir écrire, telle celle-ci.
    Faute de mots appropriés, je vous supplie de ne me pas détester pour l’effarante et terrible nouvelle dont je suis porteuse. Henriette de Tisans, votre fille, n’est plus. Elle repose en très grande paix aux côtés de son Créateur. Le cœur me saigne à vous devoir préciser que son trépas ne fut pas décidé par Dieu mais hâté par un maudit qui le paiera de sa vie puisque j’userai, sans trouble ni hésitation, de mon privilège de Haute Justice* à son égard.
    Je requiers de vous forte-main afin que ce monstre me soit remis au plus preste.
    Croyez, messire, que le chagrin que je vous cause est partagé par nous toutes. Henriette ne sera jamais oubliée céans. Elle sera portée en terre aux côtés de ses sœurs défuntes, au milieu des Sourires de la Terre 13 , mais demeurera vive dans notre esprit. Son âme vertueuse et bien trempée m’accompagnera jusqu’à ma propre nuit et au-delà, à Dieu plaise.
    Votre dévouée et affligée Constance de Gausbert, mère abbesse
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