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C'était De Gaulle - Tome I

C'était De Gaulle - Tome I

Titel: C'était De Gaulle - Tome I
Autoren: Alain Peyrefitte
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jubilation au dépit ; mais reprenant vite ses marques en relativisant les péripéties ; incarnant l'État, parce que c'est l'État qui doit soutenir la France et inciter les Français à être dignes d'elle face à l'univers ; se confondant avec la France de toujours et de partout — celle de Clovis et de Clemenceau, celle de l'Indépendance américaine et de l'incendie de Moscou ; s'installant sur les hauteurs pour en descendre de moins en moins souvent ; réaliste à long terme, excessif et injuste à l'occasion, jamais mesquin ; un homme hanté par une idée plus grande que lui.
    Cette silhouette de plus en plus précise qui s'impose à moi, est-ce seulement l'image de lui que je portais en moi ? À chacun son de Gaulle. Du reste, même avec de Gaulle, un entretien se fait à deux. Il était forcément différent avec chaque nouvel interlocuteur. Avec Malraux, la conversation se hissait aussitôt sur les sommets. Avec la jeune femme d'un de ses collaborateurs, elle ne sortait pas de la courtoisie conventionnelle— enfants, vacances, cinéma, télévision. Mais si on avait préparé avec soin la rencontre, il en allait tout autrement. Certains ministres, tels Christian Fouchet et Roger Frey, décommandaient tous leurs engagements vingt-quatre heures avant une audience, de manière à se concentrer sur ce qui allait être un moment fort de leur existence.
    Pendant les quelque quatre années où je fus porte-parole, j'ai eu le privilège de l'interroger sur les sujets les plus divers. Il m'est arrivé, comme à d'autres, de chercher à lui faire partager une conviction, à défendre devant lui un projet ; mais, le plus souvent, mon seul souci était de mieux le saisir, de le comprendre assez à fond pour distinguer ce qui pouvait être communiqué à l'extérieur, et ce qui devait rester entre nous tout en m'éclairant. On a souvent dit que le Général, dans ses entretiens, s'exerçait à « faire des balles » contre un mur. En lui donnant la réplique, puis en prenant ces notes à la volée et enfin en les transcrivant, je n'ai eu d'autre ambition que d'être la surface plane qui renvoie les balles sans les couper.

    « Mais je vous l'ai déjà dit »
    Pour l'entretien après le Conseil, l'actualité imposait ses questions. Les voyages en France, outre-mer et à l'étranger, les repas dans l'intimité, laissaient plus de liberté : l'histoire, la littérature, les spectacles, les points obscurs du passé me fournissaient ample matière. Émoustillé par cet interrogatoire à la fois respectueux et complice, le Général se prêtait au jeu.
    Toute question qu'il éludait, ou à laquelle il faisait une réponse ambiguë, je la réservais pour une autre occasion. Je détenais, pour ainsi dire en portefeuille, un questionnaire proche — les problèmes du jour — ; et un questionnaire lointain — les permanentes énigmes.
    De temps en temps, je sentais que je frôlais les limites de la convenance. Je les avais dépassées, quand il me clouait au sol par un brusque : « Vous le savez bien ! » ou qu'il me rabrouait d'un : « Mais je vous l'ai déjà dit ! » — car il avait cette mémoire qu'on prête aux éléphants. J'avais perdu. Mais, plus souvent, il complétait, nuançait ou même corrigeait une précédente réponse : j'avais gagné. J'avançais ainsi dans la connaissance de son mystère.
    L'attaché de presse de l'Élysée, Jean Chauveau, qui attendait patiemment dans le bureau des aides de camp que je ressorte du « Salon doré » pour m'accompagner à ma conférence de presse, me déclara dès le mois de mai 1962, non sans ironie : « En somme, dorénavant, il y a deux Conseils des ministres, l'un que le Général tient avec tous ses ministres, et l'autrequ'il tient avec vous seul. » Quelques jours après, le secrétaire général de l'Élysée, Étienne Burin des Roziers, me servit la même formule. Lequel des deux l'avait suggérée à l'autre ? Si elle avait été inventée par le premier, elle ne devait traduire qu'un humour bienveillant. Si elle était due au second, elle signifiait sûrement une mise en garde, inspirée par le souci de protéger le temps du Général. Pourtant, celui-ci ne brusqua jamais ces entretiens — dont les journalistes, à l'affût, mesuraient la longueur à la minute près : parfois, il fallait que l'aide de camp entrouvrît à plusieurs reprises la porte, pour lui rappeler qu'une autre obligation l'attendait.

    « Alors, pratiquement, qu'est-ce qu'on fait ?
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