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A l'écoute du temps

A l'écoute du temps

Titel: A l'écoute du temps
Autoren: Michel David
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vitre givrée, au fond de la pièce. Une
voix l'invita à entrer.
     
    Laurette eut à
peine le temps d'apercevoir le directeur du personnel retranché derrière son
bureau avant que la porte ne se referme. L'employé ne demeura pas absent plus
de deux minutes. À la vue de son visage à sa sortie de la pièce, la mère de
famille comprit qu'il ne rapportait pas de très bonnes nouvelles. Elle se leva
et s'approcha à nouveau du comptoir.
     
    — Je suis désolé,
madame Morin. Monsieur Gordon vous fait dire qu'il souhaite bonne chance à
votre mari, mais il peut rien faire. Tout ce qu'il peut vous promettre, c'est
qu'il va essayer de lui garder su job s'il reste pas trop longtemps absent.
     
    En entendant ces
paroles, Laurette blêmit de rage et il s'en fallut de peu pour qu'elle ne crie
ce qu'elle pensait de la Dominion Rubber.
     
    — Ça prend une
belle bande d'écoeurants pour traiter le monde comme ça! dit-elle entre ses
dents.
     
    — Chut! madame,
la pria tout bas l'employé en jetant un regard craintif vers la porte à la
vitre dépolie.
     
    533
     
    — Merci d'avoir
fait votre possible, monsieur, dit sèchement Laurette avant de quitter la place
en faisant claquer la porte du bureau derrière elle.
     
    Elle reprit le
chemin de la maison d'un pas rageur en se traitant de «maudite folle» pour
avoir cru un seul moment qu'elle obtiendrait de l'aide de la Dominion Rubber.
Mais elle n'avait pas eu le choix. Elle devait tout de même prévenir le patron
de son mari de son absence prolongée. Elle remâcha sa rancoeur pendant tout le
temps qu'elle prépara le dîner des écoliers.
     
    À leur arrivée à
la maison, les enfants s'empressèrent de demander à leur mère si elle était
allée à la Dominion Rubber. A la vue de son visage préoccupé, Richard devina
immédiatement que les nouvelles n'étaient pas très bonnes.
     
    — Est-ce qu'ils
vont garder la job pour p'pa? demanda-t-il à sa mère.
     
    — Non, ils disent
qu'ils peuvent pas.
     
    — Qu'est-ce que
p'pa va faire quand il va revenir? fît Gilles, aussi soucieux que sa mère.
     
    — Je le sais pas.
Cette maudite compagnie-là veut même pas nous donner une cenne pendant tout le
temps que votre père va être malade, finit-elle par avouer à ses enfants.
     
    — Qu'est-ce que
vous allez faire, m'man? demanda Carole.
     
    — On va essayer
de se débrouiller, lui répondit sa mère, soudainement désireuse de ne pas
alarmer inutilement ses enfants.
     
    — Si vous voulez,
m'man, je peux arrêter tout de suite d'aller à l'école pour me trouver une job,
proposa Richard.
     
    — Ce sera pas
nécessaire. Je vais trouver le moyen d'arranger ça, répliqua sa mère en
affichant une confiance qu'elle était bien loin d'éprouver.
     
    534 LES TEMPS
DUKS Après le départ de ses enfants pour l'école, la mère de famille s'assit à
table et calcula longuement la somme hebdomadaire qui lui était nécessaire pour
subvenir aux besoins des siens. Elle avait beau couper les frais au maximum,
elle ne parviendrait jamais à boucler son budget, loin de là.
     
    — Même en se
serrant la ceinture encore plus, on n'arrivera pas, dit-elle à voix haute en
passant une main sur son front, comme pour en chasser la migraine qu'elle
sentait venir.
     
    Elle se voyait
déjà expulsée de son appartement avec les siens, au milieu de ses meubles
entassés sur le trottoir.
     
    — Il y a pas
d'autre moyen. Il va falloir que je demande la pension des mères nécessiteuses.
     
    Après une longue
hésitation, Laurette prît l'annuaire et trouva le numéro du député du comté.
Une secrétaire aimable lui communiqua l'endroit où elle devait se présenter
pour formuler sa demande. Elle décida de prendre le tramway et de se
débarrasser de cette corvée l'après-midi même.
     
    Au bureau de
l'Assistance publique, un fonctionnaire soupçonneux scruta à la loupe sa vie
privée et celle de son mari et la soumit à un long questionnaire avant de
refermer devant elle le dossier.
     
    — Est-ce que vous
pensez que je vais avoir droit à cette pension-là? demanda Laurette, angoissée.
     
    — Je pense que
oui, madame, répondit l'homme, comme à contrecoeur. Évidemment, nous allons
enquêter pour vérifier.
     
    Vous savez que vous
êtes chanceuse. La pension vient d'être augmentée à quatre cent cinquante
dollars par année.
     
    — C'est tout de
même pas ben gros pour faire vivre une famille de cinq enfants, lui fit
remarquer la visiteuse.
     
    —
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