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A bicyclette... Et si vous épousiez un ministre ?

A bicyclette... Et si vous épousiez un ministre ?

Titel: A bicyclette... Et si vous épousiez un ministre ?
Autoren: Isabelle Juppé
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m'attendait à l'entrée, derrière un des huissiers en queue-de-pie, nœud papillon blanc et chaîne d'acier sur le ventre, qui, chaque matin et chaque soir, m'ouvriraient désormais la porte.
    Au 37 du quai d'Orsay, qui n'était encore au XVII e siècle que la berge de la Grenouillère 1 , derrière les grilles noires qui bordent la Seine dans le prolongement de l'Assemblée nationale, s'allonge sans doute l'un des plus beaux palais de la République. Le seul de tous les ministères — commencé sous Louis-Philippe et achevé sous Napoléon III — qui ait été élevé pierre par pierre pour sa fonction, c'est-à-dire pour abriter le ministère des Affaires étrangères. Avec, depuis peu, « Bercy », lui aussi bâti pour le ministère de l'Economie et des Finances, tandis que le musée du Louvre reprenait tous ses quartiers de la rue de Rivoli. Les autres sont installés, pour la plupart, dans d'anciens hôtels particuliers.

    Quand le matin, à bicyclette, en route pour le journal, je pédalais devant le quai d'Orsay, j'apercevais parfois le tapis rouge déroulé sur l'escalier de droite. Et souvent, la nuit, les vastes salons illuminés par des lustres gigantesques
m'intriguaient, qui projetaient le scintillement de leurs feux sur la Seine. Mon imagination allait bon train...
    Pour la première fois ce vendredi d'avril, je vis les grilles et la Seine de l'autre côté, de l'intérieur. Un flot de sensations bizarres m'étreignit d'un seul coup. Le sentiment un peu étrange d'abord de passer à l'ennemi. De changer de camp. De fouler avec effraction un sol que je m'étais contenté jusqu'alors d'observer — voire de critiquer — depuis l'autre rive. De crever tout à coup le rideau de papier derrière lequel ma plume de journaliste s'abritait pour ironiser parfois sur les lambris d'un pouvoir que j'abordais aujourd'hui sous une nouvelle casquette... Bref de me retrouver de l'autre côté du miroir. Alice, mais aussi Cendrillon qui franchit les marches du palais... avant que son carrosse ne redevienne citrouille. Mon minuit à moi, me disais-je alors, sera 1995.
    Ni l'intendant, ni les huissiers, ni les visiteurs que je croisais dans les couloirs n'imaginaient bien sûr ce qui se passait en moi à cet instant précis. Masquant sous un air presque blasé une curiosité maladive doublée d'une excitation de midinette, et serrant dans ma poche mon carnet de notes, comme pour me
rassurer sur ma fidélité à « ma race journalistique », je pénétrai donc dans « mon » nouveau royaume. Havre étrange et luxueux où se fondent en un harmonieux ensemble l'apparat et la mémoire, la diplomatie et cent quarante ans d'histoire de France... et du monde. L'installation officielle au quai d'Orsay du premier ministre des Affaires étrangères, Drouyn de Lhuys, remonte en effet à 1853.
    De cette première visite guidée, du premier « tour du propriétaire » de ce qui s'appelle alors, lorsqu'il jaillit au XIX e siècle du cerveau de l'architecte Lacornée, l'hôtel du ministre, je garde aujourd'hui un souvenir un peu flou. Le sentiment d'abord, comme dans toute grande maison, château, ou demeure visités pour la première fois, que je ne m'y retrouverais jamais dans ces enfilades de salons, galeries et escaliers tous plus dorés les uns que les autres. La nette impression ensuite qu'il ne s'écoulerait pas longtemps avant que je ne m'étale de tout mon long sur les parquets trop bien cirés auxquels mes chaussures pourtant plates ne se sont jamais habituées.
    Je n'étais pas la seule d'ailleurs à avoir l'air un peu perdu dans ce palais qui n'avait plus de secrets pour les diplomates chevronnés. Les petits nouveaux du cabinet du ministre mirent
eux aussi du temps avant de situer leur propre bureau par rapport aux différents couloirs, escaliers dérobés, entresols et autres demi-étages. Une énigme par exemple ne s'est résolue que quelques mois après notre arrivée : où était donc le rez-de-chaussée? En effet, comme à l'arrivée il fallait gravir une quinzaine de marches avant d'atteindre le vestibule, nous en déduisions qu'il devait s'agir du premier étage. Mais comme nous savions que juste au-dessous, les cuisines, la cave, la lingerie étaient elles au sous-sol, un élément du puzzle manquait et nos cartésiennes certitudes vacillaient. Un ouvrage sur l'historique des lieux 2 élucida quelque temps plus tard ce pseudo-mystère. L'architecte Lacornée avait tout simplement conçu d'élever l'hôtel du
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