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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles
Autoren: Sébastien Japrisot
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pense-t-elle, dans un rêve qu'elle a eu autrefois,
il y a des années, qu'elle a oublié.
    Une
ou deux minutes plus tard, un chien aboie, elle devine qu'on le fait
raire. Et puis elle entend courir sur le chemin qui vient de la
maison. À la légèreté de la course, elle
comprend que c'est un enfant. Il apparaît à vingt pas
d'elle et s'arrête net. Il est blond, avec de grands yeux
noirs, elle a calculé qu'il a huit ans et demi. Il porte des
culottes grises, une chemisette bleue, un pansement à un genou
qui ne doit pas couvrir grand bobo, sinon il ne courrait pas aussi
vite.
    “
Tu es Titou ? ” demande Mathilde.
    Il
ne répond pas. Il s'en repart en courant, entre deux champs de
tournesols. Un moment après, Mathilde entend venir Cet Homme
sur le chemin, le pas tranquille. Plus son pas se rapproche, plus son
cœur bat fort.
    Lui
aussi s'arrête à vingt pas d'elle. Il la regarde
plusieurs secondes sans bouger, le visage et le regard muets, haut
comme on le lui a dit, peut-être plus grand encore que Mathieu
Donnay, bâti en force, habillé d'une chemise blanche
sans col, aux manches retroussées, d'un pantalon de toile
beige tenu par des bretelles. Lui, Mathilde a calculé qu'il a
eu en juillet trente-huit ans. Il est tête nue. Il a les
cheveux bruns, les mêmes grands yeux noirs que son fils.
    Enfin,
lentement il s'approche, fait les derniers pas qui le séparent
de Mathilde. Il lui dit : “je savais que vous alliez me
retrouver un jour. Je vous attends depuis
qu'on m'a montré cette annonce, dans le journal." Il
s'assoit sur le tronc du chêne abattu, un pied dessus, un pied
par terre, dans des espadrilles couleur de poussière qu'il
porte en savates. Il a une voix un peu sourde, paisible comme tout
lui-même, plus douce que ne le laisserait deviner sa taille. Il dit :
    “En
avril 1920, je suis même allé à Cap-Breton, je
vous ai vue en train de peindre, dans le jardin d'une villa. Je ne
sais plus ce que j'avais en tête. Vous étiez pour moi un
danger terrible et quand je dis pour moi, vous le comprenez, c'est à
ma femme et à mon fils que je pense. Peut-être, c'est de
vous avoir vue dans ce fauteuil, peut-être aussi que je n'ai
plus le cœur de tuer même une poule, depuis la guerre, je
le fais parce qu'il faut bien, du mieux que je peux pour la bête,
avec un grand dégoût. Je me suis dit : tant pis si
elle me retrouve un jour et me dénonce, arrive ce qui arrive.
Et je suis revenu chez moi."
    Mathilde
répond qu'elle n'a jamais dénoncé personne, même
pas quand elle était petite, que ce n’est plus
maintenant qu'elle va commencer. Elle dit : “ Ce que vous
êtes devenu après Bingo vous regarde. Je suis heureuse
que vous ayez pu échapper à tout ça, mais vous
le comprenez-vous aussi, moi c'est à celui qu'on appelait le
Bleuet que je pense. »
    Il
ramasse une petite branche de bois mort. Il la casse en deux, puis en
quatre, il laisse tomber les morceaux. Il dit : «  L a
dernière fois que j'ai vu le Bleuet, il était bien mal,
mais pas autant qu'on peut le croire. Il était costaud, pour
un gars long comme un fil. Et moi, ce jour-là, j'ai eu du mal
à la porter sur mon dos. Si on l'a bien soigné, il s'en
est sorti. Pour quoi vous ne l'avez pas encore retrouvé, je
l'imagine. Il ne savait déjà plus qui il était. »
    Mathilde
pousse ses roues dans la terre sèche du chemin pour se
rapprocher de lui. Cet Homme a rasé depuis longtemps ses
moustaches. Il a le visage et le cou et les bras tannés de
travailler dehors, comme Sylvain, et ses yeux sont graves et
brillants. Sa main droite, est trouée en son milieu. C'est un
trou net, impeccable, de la grosseur d'une pièce d'un sou. Il
sourit à peine de voir Mathilde regarder sa main. Il dit : “J'ai aiguisé la balle pendant des heures, j'ai tout
fait bien. Je peux encore me servir du pouce, de l'index et du petit
doigt pour me curer l'oreille.” Il bouge les doigts qu'il dit
contre son genou pour montrer que c'est vrai. Mathilde pose sa main
droite, délicatement, sur la sienne.

    J' ai
attendu et j'ai marché, dit Cet Homme. C'est tout, en fin de
compte, ce que je me rappelle. J'ai trouvé la cave effondrée
presque tout de suite, parce que j'ai vu ce tas de briques qui
sortait de la neige quand les premières fusées ont
éclaté. J'étais avec l'Eskimo et le Bleuet dans
un trou d'obus trop peu profond pour qu'on y reste. C'est le Bleuet
qui nous a détachés, très vite, j'ai compris
qu'il avait une grande expérience
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