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Terribles tsarines

Terribles tsarines

Titel: Terribles tsarines
Autoren: Henri Troyat
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disposée à la comprendre. Bien que son « fils adoptif » n'ait encore que quinze ans, elle songe à lui trouver une fiancée, sinon fondamentalement allemande, du moins née et élevée sur les terres de Frédéric II. En même temps, du reste, elle n'abandonne pas l'espoir de rétablir de bonnes relations avec Versailles et charge son ambassadeur, le prince Kantémir, de faire savoir discrètement au roi qu'elle regrette le départ du marquis de La Chétardie et qu'elle serait heureuse de le revoir à lacour. Celui-ci a été remplacé, à Saint-Pétersbourg, par un ministre plénipotentiaire, M. d'Usson d'Allion, personnage compassé, pour lequel l'impératrice n'éprouve ni inclination ni estime.
    Les Français continuant de la décevoir, elle se console en imitant, à sa façon, les modes de ce pays qu'elle admire malgré ses représentants officiels. Cet engouement se traduit par une passion effrénée pour les toilettes, les bijoux, les colifichets, les tics de conversation portant le cachet parisien. Changeant de tenue trois fois au cours d'un bal, car les danses la font abondamment transpirer, elle ne perd pas une occasion d'enrichir sa garde-robe. Dès qu'on lui signale l'arrivée d'un bateau français dans le port de Saint-Pétersbourg, elle en fait inspecter la cargaison et exige qu'on lui apporte les dernières nouveautés des couturières de Paris, afin qu'aucune de ses sujettes n'en ait connaissance avant elle. Sa préférence va aux modèles hauts en couleur, aux tissus soyeux, surchargés de broderies or ou argent. Mais elle ne déteste pas se vêtir en homme pour surprendre son entourage par le galbe de ses mollets et la finesse de ses chevilles. Deux fois par semaine, il y a mascarade à la cour. Sa Majesté y participe, déguisée en hetman cosaque, en mousquetaire de Louis XIII ou en marin hollandais. Jugeant qu'en travesti masculin elle surpasse toutes ses habituelles invitées, elle institue des bals masqués où, sur son ordre, les femmes paraissent en habits et culottes à la française et les hommes en jupes à panier. Fort jalouse de la beautéde ses congénères, elle ne tolère aucune concurrence en matière d'attifement et de parure. Ayant résolu de se montrer à un bal avec une rose dans les cheveux, elle remarque avec indignation que Mme Nathalie Lopoukhine, réputée pour ses succès dans le monde, en arbore une elle aussi, au sommet de sa coiffure. Une telle coïncidence ne peut être fortuite, décide Élisabeth. Elle voit là une atteinte flagrante à l'honneur impérial. Arrêtant l'orchestre au milieu d'un menuet, elle oblige Mme Lopoukhine à s'agenouiller, demande une paire de ciseaux, coupe rageusement la fleur incriminée en même temps que les mèches artistement frisées qui entourent la tige, gifle la malheureuse sur les deux joues, devant un groupe de courtisans médusés, fait un signe aux musiciens et retourne à la danse. A la fin du morceau, quelqu'un lui chuchote à l'oreille que Mme Lopoukhine s'est évanouie de honte. Haussant les épaules, la tsarine profère entre ses dents : « Elle n'a eu que ce qu'elle méritait, l'imbécile ! » Aussitôt après cette petite vengeance féminine, elle retrouve son habituelle sérénité, comme si c'était une autre qui, l'instant précédent, avait agi à sa place. De même, lors d'une promenade à la campagne, un de ses derniers bouffons, Aksakov, lui ayant montré, par plaisanterie, dans la coiffe de son chapeau, un porc-épic qu'il venait de capturer vivant, elle a poussé un cri d'horreur, s'est enfuie sous sa tente et a ordonné de livrer l'insolent au bourreau, afinqu'il expie sous les tortures le crime d'avoir « effrayé Sa Majesté 1  ».
    Ces représailles intempestives vont de pair, chez Élisabeth, avec de soudains exercices de dévotion. Aussi spontanément repentante que facilement exaspérée, il lui arrive de s'imposer des pèlerinages à pied vers tel ou tel lieu saint jusqu'à la limite de ses forces. Elle reste debout des heures durant à l'église, observe scrupuleusement les jours de jeûne, au point d'être parfois victime d'une syncope en sortant de table sans avoir rien mangé. Le lendemain, elle a une indigestion en essayant de rattraper le « temps perdu ». Tout dans son comportement est excessif et inattendu. Elle aime autant surprendre les autres que se surprendre elle-même. Désordonnée, fantasque, à demi inculte, méprisant les horaires qu'elle s'est fixés, aussi prompte à
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