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Sépulcre

Sépulcre

Titel: Sépulcre
Autoren: Kate Mosse
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enfoncée. Ils les chargèrent dans les coulisses et joignirent leurs forces au personnel du théâtre, qui avançait sur les anti-prussiens entre les plateaux et l’arrière du décor.
    Léonie regardait, en proie à un mélange de stupeur et de fascination. Un tout jeune homme moustachu vêtu d’un costume de soirée manifestement trop grand pour lui qu’il avait dû louer se lança sur le meneur des manifestants et le prit au collet pour tenter de le renverser, mais c’est lui qui se retrouva à terre. Léonie l’entendit hurler de douleur quand son adversaire lui planta dans le ventre une botte ferrée d’acier.
    « Vive la France ! À bas les Boches. »
    Une frénésie guerrière s’empara des combattants et Léonie vit luire dans leurs yeux enfiévrés une envie de meurtre.
    « S’il vous plaît ! » s’écria-t-elle au désespoir, mais personne ne l’entendit et il n’y avait pour elle aucune issue, aucun moyen de forcer le passage.
    Quand un machiniste fut jeté à bas de la scène, Léonie se recroquevilla, horrifiée. Le corps du machiniste culbuta par-dessus la fosse d’orchestre abandonnée et retomba sur la rampe de cuivre, avec un bras tordu, désarticulé. Ses yeux restèrent ouverts.
    Il faut que tu recules.
    Mais c’était comme si le monde autour d’elle avait basculé dans le sang et la haine. Elle le voyait sur le faciès déformé des hommes qui l’entouraient. À quelques mètres d’elle, un blessé rampait sur les mains et les genoux en laissant sur les planches une traînée ensanglantée.
    Derrière lui, un assaillant brandit un couteau.
    Non !
    Léonie voulut l’avertir, mais l’horreur lui vola sa voix. La lame s’abattit et le blessé s’affala sur son flanc. Il leva les yeux vers son agresseur, vit le couteau et jeta sa main en avant pour se protéger, en vain. L’autre s’acharna sur lui, plongeant et replongeant le couteau dans sa poitrine.
    Le blessé eut un dernier soubresaut, il battit des bras et des jambes comme une marionnette au guignol des Champs-Élysées, puis retomba, inerte.
    Léonie se rendit compte avec stupeur qu’elle pleurait. Alors la peur revint, plus farouche que jamais.
    — S’il vous plaît, laissez-moi passer !
    Elle tenta de se frayer un chemin à coups d’épaule, mais elle était trop légère, trop frêle. Les gens formaient une masse entre elle et la sortie, et l’allée centrale était bloquée par des coussins en velours rouge. Sous la scène, des étincelles jaillies des brûleurs à gaz tombèrent sur les partitions de musique qui jonchaient le sol. Il y eut un crépitement, des flammèches d’un jaune orangé et, d’un seul coup, le feu s’enfla en s’attaquant à la charpente en bois qui soutenait la scène.
    « Au feu ! Au feu ! »
    L’affolement se mua en panique générale et déferla sur la salle.
    — Laissez-moi passer ! cria Léonie. Je vous en supplie.
    Personne ne lui prêta attention. Le souvenir de l’horrible incendie qui avait dévasté l’Opéra-Comique cinq ans plus tôt en tuant plus de quatre-vingts personnes s’empara des esprits. Le sol était recouvert de débris piétinés, programmes, coiffes, plumes et aigrettes, lorgnettes, jumelles, tel le lit d’ossements d’un antique sépulcre.
    Léonie continuait d’avancer en aveugle entre les coudes et les nuques sans rien voir des visages qui l’entouraient, centimètre par centimètre, réussissant à s’éloigner tant bien que mal du plus fort des combats.
    Sur son flanc, elle sentit trébucher une vieille dame qui glissa à terre.
    Elle va être piétinée, pensa Léonie en la rattrapant par le coude. Sous le tissu empesé, elle sentit son bras grêle.
    — Je voulais seulement écouter la musique, se lamenta la vieille dame. Allemande ou Française, cela m’importe peu. Jamais je n’aurais pensé revoir ce genre de choses. À notre époque ! Quel malheur, quelle honte…
    Léonie avança vers la sortie en chancelant sous le poids de la vieille dame, qui perdait peu à peu conscience. Le fardeau lui semblait plus lourd à chaque pas.
    — Ce n’est plus très loin, s’écria Léonie. De grâce, faites un effort. Nous y sommes presque.
    Enfin elle aperçut la livrée familière d’un placeur.
    — Mais aidez-moi, bon Dieu, s’écria-t-elle. Par ici, vite !
    Le placeur obéit aussitôt et soulagea Léonie en prenant la vieille dame dans ses bras pour la porter jusque dans le Grand Foyer.
    Léonie sentit ses jambes fléchir
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