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Pilote de guerre

Pilote de guerre

Titel: Pilote de guerre
Autoren: Antoine de Saint-Exupéry
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plaisanter, je me retournai vers Gavoille :
    — Pourquoi fait-il un nez comme ça ?
    — Sa mère le lui a fait, répondit Gavoille.
    Mais il ajouta :
    — Drôle de mission à basse altitude. Il part.
    — Ah !
    Et, bien sûr, je me suis rappelé, le soir, lorsque nous eûmes cessé d’attendre le retour d’Israël, ce nez qui, planté dans un visage totalement impassible, exprimait avec une sorte de génie, à lui seul, la plus lourde des préoccupations. Si j’avais eu à commander le départ d’Israël, l’image de ce nez m’eût hanté longtemps comme un reproche. Israël, certes, n’avait rien répondu à l’ordre de départ, sinon : « Oui, mon Commandant. Bien, mon Commandant. Entendu, mon Commandant. » Israël, certes, n’avait pas tressailli d’un seul des muscles de son visage. Mais, doucement, insidieusement, traîtreusement, le nez s’était allumé. Israël contrôlait les traits de son visage, mais non la couleur de son nez. Et le nez en avait abusé pour se manifester, à son compte, dans le silence. Le nez, à l’insu d’Israël, avait exprimé au commandant sa forte désapprobation.
    C’est peut-être pourquoi le commandant n’aime point faire partir ceux qu’il imagine accablés de pressentiments. Les pressentiments trompent presque toujours, mais font rendre aux ordres de guerre un son de condamnation. Alias est un chef, non un juge.
    Ainsi, l’autre jour, à propos de l’adjudant T.
    Autant Israël était courageux, autant T. était accessible à la peur. C’est le seul homme que j’aie connu qui éprouvât réellement la peur. Quand on donnait à T. un ordre de guerre, on déclenchait en lui une bizarre ascension de vertige. C’était quelque chose de simple, d’inexorable et de lent. T. se raidissait lentement des pieds vers la tête. Son visage était comme lavé de toute expression. Et les yeux commençaient de luire.
    Contrairement à Israël, dont le nez m’avait paru tellement penaud, penaud de la mort probable d’Israël, en même temps que tout irrité, T. ne formait point de mouvements intérieurs. Il ne réagissait pas : il muait. Quand on avait achevé de parler à T., on découvrait que l’on avait simplement en lui allumé l’angoisse. L’angoisse commençait de répandre sur son visage une sorte de clarté égale. T., dès lors, était comme hors d’atteinte. On sentait s’élargir, entre l’univers et lui, un désert d’indifférence. Jamais ailleurs, chez nul au monde, je n’ai connu cette forme d’extase.
    — Je n’aurais jamais dû le laisser partir ce jour-là, disait plus tard le commandant.
    Ce jour-là, quand le commandant avait annoncé son départ à T., celui-ci, non seulement avait pâli, mais il avait commencé de sourire. Simplement de sourire. Ainsi font peut-être les suppliciés quand le bourreau, vraiment, dépasse les bornes.
    — Vous n’êtes pas bien. Je vous remplace…
    — Non, mon Commandant. Puisque c’est mon tour, c’est mon tour.
    Et T., au garde-à-vous devant le commandant, le regardait tout droit, sans un mouvement.
    — Mais si vous ne vous sentez pas sûr de vous…
    — C’est mon tour, mon Commandant, c’est mon tour.
    — Voyons T…
    — Mon Commandant…
    L’homme était semblable à un bloc.
    Et Alias :
    — Alors je l’ai laissé partir.
    Ce qui suivit ne reçut jamais d’explication. T., mitrailleur à bord de l’appareil, subit une tentative d’attaque de la part d’un chasseur ennemi. Mais le chasseur, ses mitrailleuses s’étant enrayées, fit demi-tour. Le pilote et T. se parlèrent entre eux jusqu’aux environs du terrain de base, sans que le pilote remarquât rien d’anormal. Mais à cinq minutes de l’arrivée, il n’obtint plus de réponse.
    Et l’on retrouva T., dans la soirée, le crâne brisé par l’empennage de l’avion. Il avait sauté en parachute dans des conditions désastreuses, en pleine vitesse, et cela en territoire ami, alors qu’aucun danger ne le menaçait plus. Le passage du chasseur avait joué comme un appel irrésistible.
    — Allez vous habiller, nous dit le commandant, et soyez en l’air à cinq heures trente.
    — Au revoir, mon Commandant.
    Le commandant répond par un geste vague. Superstition ? Comme ma cigarette est éteinte, et qu’en vain je fouille mes poches :
    — Pourquoi n’avez-vous jamais d’allumettes ?
    Ça, c’est exact. Et je franchis la porte sur cet adieu, en me demandant : « Pourquoi n’ai-je
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