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Pilote de guerre

Pilote de guerre

Titel: Pilote de guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine de Saint-Exupéry
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soupçonneux :
    — Par où sors-tu ?
    — Par Albert.
    — C’est bien ça. C’est bien ça. Ah ! c’est embêtant.
    — Ne fais pas l’idiot ; qu’y a-t-il ?
    — Tu ne peux pas partir !
    Je ne peux pas partir !… Il est bien bon, Vezin ! Qu’il obtienne de Dieu le Père une panne de laryngophone !
    Tu ne peux pas passer.
    — Pourquoi ne puis-je pas passer ?
    — Parce qu’il y a trois missions de chasse allemande qui se relaient en permanence au-dessus d’Albert. L’une à six mille mètres, l’autre à sept mille cinq, l’autre à dix mille. Aucune ne quitte le ciel avant l’arrivée des remplaçants. Ils font de l’interdiction a priori . Tu vas te jeter dans un filet. Et puis, tiens, regarde !…
    Et il me montre un papier, sur lequel il a griffonné des démonstrations incompréhensibles.
    Il ferait mieux, Vezin, de me foutre la paix. Les mots « interdiction a priori  » m’ont impressionné. Je songe aux lumières rouges et aux contraventions. Mais la contravention, ici, c’est la mort. Je déteste surtout «  a priori  ». J’ai l’impression d’être personnellement visé.
    Je fais un grand effort d’intelligence. C’est toujours a priori que l’ennemi défend ses positions. Ces mots-là, c’est des balivernes… Et puis je me fous de la chasse. Quand je descendrai à sept cents mètres, c’est la D.C.A. qui m’abattra. Elle ne peut pas me manquer ! Me voilà brusquement agressif :
    — En somme, tu viens m’apprendre, de toute urgence, que l’existence d’une aviation allemande rend mon départ très imprudent ! Cours avertir le général…
    Cela n’eût pas coûté cher à Vezin de me rassurer gentiment, en baptisant ses fameux avions : « Des chasseurs qui traînent du côté d’Albert…»
    Le sens était exactement le même !

IV
    Tout est prêt. Nous sommes à bord. Reste à essayer les laryngophones…
    — M’entendez bien, Dutertre ?
    — Vous entends bien, mon Capitaine.
    — Et vous, le mitrailleur, m’entendez bien ?
    — Je… oui… très bien.
    — Dutertre, vous l’entendez, le mitrailleur ?
    — Je l’entends bien, mon Capitaine.
    — Le mitrailleur, vous entendez le lieutenant Dutertre ?
    — Je… oui… très bien.
    — Pourquoi dites-vous toujours : « Je… oui… très bien ? »
    — Je cherche mon crayon, mon Capitaine.
    Les laryngophones ne sont pas en panne.
    — Le mitrailleur, normale la pression d’air dans les bouteilles ?
    — Je… oui… normale.
    — Les trois bouteilles ?
    — Les trois bouteilles.
    — Paré, Dutertre ?
    — Paré.
    — Paré, le mitrailleur ?
    — Paré.
    — Alors on y va.
    Et je décolle.

V
    L’angoisse est due à la perte d’une identité véritable. Si j’attends un message dont dépend mon bonheur ou mon désespoir, je suis comme rejeté dans le néant. Tant que l’incertitude me tient en suspens, mes sentiments et mes attitudes ne sont plus qu’un déguisement provisoire. Le temps cesse de fonder, seconde par seconde, comme il bâtit l’arbre, le personnage véritable qui m’habitera dans une heure. Ce moi inconnu marche à ma rencontre, de l’extérieur, comme un fantôme. Alors j’éprouve une sensation d’angoisse. La mauvaise nouvelle provoque, non l’angoisse, mais la souffrance : c’est tout autre chose.
    Or, voici que le temps a cessé de couler à vide. Je suis installé enfin dans ma fonction. Je ne me projette plus dans un avenir sans visage. Je ne suis plus celui qui amorcera peut-être une vrille dans le tourbillon de l’incendie. L’avenir ne me hante plus à la façon d’une apparition étrangère. Mes actes, désormais, l’un après l’autre, le composent. Je suis celui qui contrôle le compas pour y maintenir 313°. Qui règle le pas des hélices et le réchauffage de l’huile. Ce sont des soucis immédiats et sains. Ce sont les soucis de la maison, les petits devoirs de la journée qui enlèvent le goût de vieillir. La journée devient maison bien lustrée, planche bien polie, oxygène bien débité. Je contrôle en effet le débit d’oxygène, car nous montons vite : six mille sept cents mètres.
    — Ça va, l’oxygène, Dutertre ? Vous vous sentez bien ?
    — Ça va, mon Capitaine.
    — Hep ! le mitrailleur, l’oxygène, ça va ?
    — Je… oui… ça va, mon Capitaine…
    — Vous n’avez pas trouvé votre crayon ?
    Je deviens aussi celui qui appuie le bouton S et le bouton A en vue du

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