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Perceval Le Gallois

Perceval Le Gallois

Titel: Perceval Le Gallois
Autoren: Jean Markale
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Guenièvre (2) . L’égoïsme de Lancelot en devient alors monstrueux, et c’est d’ailleurs cela qui finira par causer l’affaiblissement puis la ruine du royaume arthurien. On pourrait ainsi, à propos de chaque chevalier, faire des remarques analogues sur les contradictions internes qui affectent des comportements apparemment sans faille.
    De plus, il faut bien l’admettre, tout groupe social constitué n’est viable qu’en fonction d’un but à atteindre, selon les modalités de ce qu’il est convenu d’appeler une idéologie. Comment et pourquoi s’est formé le compagnonnage de la Table Ronde ? Selon Merlin, il s’agissait d’assurer la permanence d’un royaume terrestre, mais avec, à l’arrière-plan, la perspective de découvrir les secrets du mystérieux « saint » Graal. Merlin avait assuré que cette découverte aurait lieu pendant le règne d’Arthur, mais plus les mois et les années passaient, plus l’événement se trouvait rejeté dans un avenir flou et incertain. Certes, des signes étaient apparus, telle l’hallucinante entrée de la Demoiselle Chauve, sur son char tiré par des cerfs, à la cour d’Arthur. Certes, quelques-uns des compagnons d’Arthur avaient été admis dans le Château du Graal et avaient même eu une vision imparfaite de l’Objet mystérieux. Mais Bohort et Gauvain, pourtant heureux privilégiés, n’avaient en rien réussi l’épreuve, et Lancelot du Lac avait prolongé l’attente en procréant – inconsciemment, et sous le coup d’un sortilège – un héros, son double épuré, susceptible de mener les épreuves à leur terme. On savait que le Roi Pêcheur était toujours atteint de langueur et que le Royaume du Graal continuait à péricliter. À la Table Ronde, le Siège Périlleux demeurait toujours vacant, ceux qui avaient eu l’audace d’y prendre place ayant été foudroyés par des puissances surnaturelles. Le bouclier suspendu au pilier central du château d’Arthur ne s’était pas encore détaché pour tomber entre les mains de l’Élu, et le petit chien apporté par la Demoiselle Chauve n’avait pas encore manifesté sa joie devant le « Bon Chevalier ». Et si tout ce que l’on avait raconté au sujet du Graal n’était qu’une supercherie mise au point par le facétieux Merlin pour tenir en haleine les compagnons d’Arthur ?
    À notre époque, Samuel Beckett dans En attendant Godot et Julien Gracq dans Le Rivage des Syrtes ont, chacun dans une tonalité différente, magistralement rendu compte de cette intolérable situation d’attente : quelque chose doit se passer, car, s’il ne se produit rien, c’est l’existence même qui est remise en question. Mais donner un coup de pouce au destin risque également de déclencher des aventures malencontreuses. Les promesses de tel ou tel chevalier de la Table Ronde ne seraient-elles pas des tentatives désespérées pour sortir d’un marasme encore plus terrifiant que l’expectative elle-même ? On en arrive à un état de tension extrême, comme au début des tragédies raciniennes : le mécanisme est bandé de manière telle que, si violente soit-elle, sa détente est inévitable. À moins que ne surgisse un élément étranger – d’aucuns diront « artificiel » – susceptible de désamorcer la crise.
    Bien établie, bien rodée, dotée d’un fonctionnement rationnel et de codes spécifiques, la société arthurienne constitue un magnifique réseau de potentialités inexploitées : c’est une machine qui tourne à vide. N’ayant que trop tendance à agir pour soi, chacun des participants risque de compromettre l’unité du groupe et surtout de succomber aux pièges que continuent à dresser les forces de l’ombre. Au premier rang de celles-ci se trouve bien entendu Morgane, encore que son rôle soit ambigu, puisqu’elle est essentiellement provocatrice , donc nécessaire au déroulement ultérieur de l’action. Autrement dangereux sont les magiciens de tous bords qui, profitant de la non-présence de Merlin, jettent sortilège après sortilège sur le royaume. Et ils ne sont pas les derniers à souhaiter l’avènement de l’enfant qui grandit dans un quasi-anonymat : Mordret, le fils incestueux d’Arthur, qui sera le fossoyeur de l’œuvre initiée par Merlin. Le péché d’Arthur, péché inconscient donc véniel mais métaphysique, sera lavé dans le sang. Or, pour l’instant, nul ne se soucie de Mordret, Arthur moins que tout autre, et cette
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