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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude
Autoren: Robert Graves
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jusqu’à présent – de peur, je pense, de nuire à la réputation d’Auguste – et que je veux maintenant révéler. Ma grand-mère affermissait ingénieusement son pouvoir sur lui en lui amenant secrètement et de sa propre initiative de belles jeunes femmes, toutes les fois qu’elle le voyait troublé par le désir. Tout se passait avec simplicité et décence : Livie choisissait elle-même les jeunes femmes au marché d’esclaves syrien (Auguste avait une préférence pour les Syriennes). Un coup frappé à la porte, un cliquetis de chaînes, les introduisait le soir dans la chambre d’Auguste ; le même signal les en faisait sortir de bon matin ; en sa présence elles restaient silencieuses comme des succubes. Ni avant ni après, Livie ne prononçait un mot à leur sujet : cependant Auguste ne doutait pas qu’au fond elle ne fût jalouse. Tout cela, il le considérait comme une preuve du plus parfait amour. Évidemment, dans sa situation, il n’avait pas besoin de Livie pour se procurer à satiété les plus belles femmes du monde, esclaves ou libres, matrones ou vierges. Cependant, il dit lui-même un jour – dans un sens un peu différent peut-être – que depuis son mariage avec Livie il n’avait jamais touché de viande qu’elle n’eût d’abord reconnue mangeable.
    Livie n’avait donc sujet d’être jalouse d’aucune femme, sinon de sa belle-sœur, mon autre grand-mère, Octavie, dont la beauté excitait autant l’admiration que sa vertu. Livie prenait un malin plaisir à la plaindre de l’infidélité d’Antoine. Elle alla jusqu’à insinuer qu’Octavie en était un peu responsable : pourquoi s’habiller aussi modestement et affecter autant de retenue ? Pour retenir un homme ardent comme Marc-Antoine, il eût fallu allier à la chasteté d’une matrone la science et le luxe d’une courtisane orientale. Octavie aurait pu prendre modèle sur Cléopâtre, car l’Égyptienne, quoique moins belle et moins jeune, savait bien, elle, combler les sens d’Antoine. « Les hommes comme lui, les vrais hommes, ajouta sentencieusement Livie, préfèrent l’étrange à l’honnête. Ils trouvent plus de goût au fromage vert et plein d’asticots qu’au lait caillé frais égoutté. – Garde tes asticots pour toi », lui jeta Octavie.
    Livie elle-même s’habillait richement et faisait usage des parfums d’Asie les plus coûteux, mais elle ne permettait pas le moindre luxe à sa maisonnée, qu’elle se vantait de régenter à la vieille mode romaine. Ses principes étaient : nourriture simple mais abondante, observance régulière du culte familial, pas de bains chauds après les repas, du travail pour tout le monde et pas de gaspillage. « Tout le monde » ne comprenait pas seulement les esclaves et les affranchis, mais les membres de la famille. La malheureuse Julie, sa belle-fille, devait donner l’exemple du labeur. Elle avait tous les jours sa tâche de laine à carder et à filer, de toile à tisser, de travaux d’aiguille à finir : pour en venir à bout il lui fallait quitter son lit étroit à l’aube, et même avant l’aube, les mois d’hiver. Comme sa belle-mère était partisan des études classiques pour les filles, on la força, entre autres choses, à apprendre par cœur toute l’ Iliade et toute l ’Odyssée d’Homère.
    Elle devait aussi tenir, pour le montrer à Livie, un journal détaillé de ses travaux, de ses lectures, de ses conversations, ce qui lui pesait fort. Bien que sa beauté fût partout vantée, aucune amitié masculine ne lui était permise. Un jour, à Baïes, le fils d’un consul, jeune homme de bonne famille et de mœurs irréprochables, eut l’audace de l’aborder sous un prétexte de politesse, pendant la demi-heure de promenade qu’on lui permettait de faire au bord de la mer sous la garde d’une duègne. Livie, jalouse de la beauté de Julie et de l’affection paternelle d’Auguste, fit envoyer au jeune homme une lettre très sévère, lui signifiant qu’il ne devait pas s’attendre à exercer un jour une fonction publique sous le gouvernement d’un homme dont il avait essayé de compromettre la fille par son insupportable familiarité. Quant à Julie, on lui défendit de se promener désormais hors des limites de la villa. À peu près à cette époque, elle devint complètement chauve. Je ne sais si Livie y fut pour quelque chose : c’est assez probable, bien que la calvitie fût fréquente dans la famille des
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