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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française
Autoren: Eric Zemmour
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oubliée au fil des siècles. L’historiographie contemporaine ( Alessandro Barbero, Barbares, immigrés, réfugiés et déportés dans l’Empire romain ) confirme l’intuition du grand Anglais ; et situe également le basculement décisif en 376, lorsque les Goths, fuyant l’avancée des Huns, demandèrent l’asile aux Romains pour des raisons humanitaires. Ceux-ci tergiversèrent, négocièrent. Dans la confusion, l’armée romaine fut attaquée et détruite, l’empereur Valens mourut. Son successeur Théodose s’efforça d’intégrer les Goths comme l’avaient été les précédentes vagues d’immigrés. En vain. Pourtant, l’administration romaine, même corrompue et brutale, ne manquait pas de savoir-faire. Depuis l’édit de Caracalla en 212, qui accordait la citoyenneté romaine à tous les habitants de l’Empire, on avait assisté à une lente mais efficace romanisation des Barbares venus de Germanie, mais aussi d’Afrique ou d’Arabie. Les nouveaux venus « à la recherche du bonheur romain » adoptaient les mœurs de leur nouvelle patrie, romanisaient leurs noms, parlaient latin, vivaient, mangeaient, s’habillaient, se mariaient à la romaine ; les Flavius – patronyme souvent adopté par les anciens Barbares – étaient nombreux dans l’armée romaine qui s’avérait un remarquable « melting-pot ». De nombreux Barbares se hissèrent aux plus hauts grades, a l’instar, note Alessandro Barbero, d’un Colin Powell, fils d’émigré jamaïcain devenu ministre de la défense, ou d’un Shinseki, fils d’un japonais, chef d’état-major de l’armée, tandis que le commandant des troupes en Irak avait pour nom Ricardo Sanchez.
    Mais à trop vouloir prouver, à trop vouloir lisser, à trop respecter les canons du politiquement correct, à ne plus parler d’« invasions barbares », mais d’« immigrés », puisque les Barbares étaient déjà dans la place, les historiens d’aujourd’hui renouent paradoxalement avec l’optimisme béat qu’ils reprochent justement aux élites de l’Empire romain. À leurs yeux jamais dessillés, ces Barbares renflouaient les campagnes décimées par les épidémies, cultivaient les champs, payaient des impôts et remplaçaient efficacement des Romains lassés par les rigueurs de la conscription pour défendre l’Empire aux frontières. Pourtant, à l’époque déjà, les Cassandre ne manquaient pas : lorsqu’il relate précisément les événements de 376, Amnien Marcellin ironise amèrement sur la constance avec laquelle les autorités romaines organisèrent la traversée du Danube par les réfugiés : « On s’efforçait avec grand zèle de faire en sorte que ne demeure à l’arrière pas même un seul de ceux qui auraient subverti l’État romain. » Durant ces mêmes années, Sulpice-Sévère déplore l’accueil sur le sol romain d’autant de gens qui ne font que semblant de se soumettre ainsi que la présence « dans nos armées et dans nos villes de tant de barbares qui vivent parmi nous et dont nous ne voyons pas qu’ils s’adaptent à nos coutumes ».
    Au IV e siècle, les violences, les pillages, les agressions se multiplient. Les grands propriétaires latifundiaires s’entourent de milices privées. Mais lorsque le commandant romain de la cité de Tomi en Scythie, Gérontius, attaque et disperse un contingent de Goths qui mettaient la région à feu et à sang, il est destitué et soumis à une procédure d’enquête, « fait révélateur de l’impasse dans laquelle se trouvait désormais le gouvernement impérial, trop dépendant de l’épée des Goths pour pouvoir s’en passer » (Barbero). Jadis, les bandes fournies par les Goths pour lutter contre la Perse, une fois accomplie leur mission, étaient reparties dans leur patrie, les bras chargés de présents. Désormais, les « mercenaires enrôlés à une échelle sans précédent » s’installaient avec femmes et enfants. L’Église chrétienne naissante favorisa ce tropisme ; assoiffée de conversions nouvelles, elle trouvait chez les Goths des ressources inépuisables. Jusqu’au bout, les classes dirigeantes de l’Empire, anciennes et nouvelles, continuèrent d’encourager l’immigration pour des raisons humanitaires et religieuses.
    Le christianisme a été remplacé aujourd’hui par ce que Régis Debray appelle la religion des droits de l’Homme. On retrouve chez nos élites, surtout françaises, un comportement similaire à celui de leurs devancières
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