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Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Titel: Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
Autoren: Erckmann-Chatrian
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bras,
pendant entre les deux épaules, était installé dans le fauteuil et
déchiquetait un de nos jambons avec appétit. On ne voyait que ses
gros poings bruns aller et venir, la fourchette dans l’un, le
couteau dans l’autre, et ses grosses joues musculeuses trembloter.
De temps en temps, il prenait le verre, levait le coude, buvait un
bon coup et poursuivait.
    Il avait des épaulettes couleur de plomb, un
grand sabre à fourreau de cuir, dont la coquille remontait derrière
son coude, et des bottes tellement couvertes de boue, qu’on ne
voyait plus que la glèbe jaune qui commençait à sécher. Son chapeau
posé sur le buffet, laissait pendre un bouquet de plumes rouges,
qui s’agitaient au courant d’air, car, malgré le froid les fenêtres
restaient ouvertes ; une sentinelle passait derrière, l’arme
au bras, et s’arrêtait de temps en temps pour jeter un coup d’œil
sur la table.
    Tout en déchiquetant, l’homme aux gros favoris
parlait d’une voix brusque :
    – Ainsi, tu es médecin ? disait-il à
l’oncle.
    – Oui, monsieur le commandant.
    – Appelle-moi « commandant »
tout court, ou « citoyen commandant », je te l’ai déjà
dit ; les « monsieur » et « madame » sont
passés de mode. Mais, pour en revenir à nos moutons, tu dois
connaître le pays ; un médecin de campagne est toujours sur
les quatre chemins. À combien sommes-nous de
Kaiserslautern ?
    – À sept lieues, commandant.
    – Et de Pirmasens ?
    – À huit environ.
    – Et de Landau ?
    – Je crois à cinq bonnes lieues.
    – Je crois… à peu près… environ… est-ce
ainsi qu’un homme du pays doit parler ? Écoute, tu m’as l’air
d’avoir peur ; tu crains que, si les habits blancs passent par
ici, on ne te pende pour les renseignements que tu m’auras donnés.
Ôte-toi cette idée de la tête : la République française te
protège.
    Et regardant l’oncle en face, de ses yeux
gris :
    – À la santé de la République une et
indivisible ! fit-il en levant son verre.
    Ils trinquèrent ensemble, et l’oncle, tout
pâle, but à la République.
    – Ah çà, reprit l’autre, est-ce qu’on n’a
pas vu d’Autrichiens par ici ?
    – Non, commandant.
    – En es-tu bien sûr ? Voyons,
regarde-moi donc en face.
    – Je n’en ai pas vu.
    – Est-ce que tu n’aurais pas fait un tour
à Rhéethâl ces jours derniers.
    L’oncle avait été trois jours avant à
Rhéethâl ; il crut le commandant informé par quelqu’un du
village, et répondit :
    – Oui, commandant.
    – Ah ! – Et il n’y avait pas
d’Autrichiens ?
    – Non !
    Le républicain vida son verre, en jetant un
coup d’œil oblique sur l’oncle Jacob ; puis il étendit le bras
et le prit au poignet d’un air étrange.
    – Tu dis que non ?
    – Oui, commandant.
    – Eh bien, tu mens !
    Et, d’une voix lente, il ajouta :
    – Nous ne pendons pas, nous autres, mais
nous fusillons quelquefois ceux qui nous trompent !
    La figure de l’oncle devint encore plus pâle.
Cependant, d’un ton assez ferme et la tête haute, il
répéta :
    – Commandant, je vous affirme sur
l’honneur qu’il n’y avait pas d’Impériaux à Rhéethâl il y a trois
jours.
    – Et moi, s’écria le républicain, dont
les petits yeux gris brillaient sous ses épais sourcils fauves, je
te dis qu’il y en avait. Est-ce clair ?
    Il y eut un silence. Tous ceux de la cuisine
s’étaient retournés ; la mine du commandant n’était pas
rassurante. Moi, je me mis à pleurer, j’entrai même dans la
chambre, comme pour secourir l’oncle Jacob, et je me plaçai
derrière lui. Le républicain nous regardait tous deux, les sourcils
froncés, ce qui ne l’empêchait pas d’avaler encore une bouchée de
jambon, comme pour se donner le temps de réfléchir. Dehors, Lisbeth
sanglotait tout haut.
    – Commandant, reprit l’oncle avec fermeté,
vous ignorez peut-être qu’il y a deux Rhéethâl, l’un du côté de
Kaiserslautern, et l’autre sur la Queich, à trois petites lieues de
Landau. Les Autrichiens étaient peut-être là-bas ; mais de ce
côté, mercredi soir, on n’en avait pas encore vu.
    – Ça, dit le commandant en mauvais
allemand lorrain, avec un sourire goguenard, ce n’est pas trop
bête. Mais nous autres, entre Bitche et Sarreguemines, nous sommes
aussi fins que vous. À moins que tu ne me prouves qu’il y a deux
Rhéethâl, je ne te cache pas que mon devoir est de te faire arrêter
et
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