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Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Titel: Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
Autoren: Erckmann-Chatrian
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MADAME THÉRÈSE – ou – LES VOLONTAIRES DE
92
    I
     
    Nous vivions dans une paix profonde au village
d’Anstatt, au milieu des Vosges allemandes, mon oncle le Dr Jacob
Wagner, sa vieille servante Lisbeth et moi. Depuis la mort de sa
sœur Christine, l’oncle Jacob m’avait recueilli chez lui.
    J’approchais de mes dix ans ; j’étais
blond, rose et frais comme un chérubin. J’avais un bonnet de coton,
une petite veste de velours brun, provenant d’une ancienne culotte
de mon oncle, des pantalons de toile grise et des sabots garnis
au-dessus d’un flocon de laine. On m’appelait le petit Fritzel au
village, et chaque soir, en rentrant de ses courses, l’oncle Jacob
me faisait asseoir sur ses genoux pour m’apprendre à lire en
français dans l’
Histoire
naturelle
de
M. de Buffon.
    Il me semble encore être dans notre chambre
basse, le plafond rayé de poutres enfumées. Je vois, à gauche, la
petite porte de l’allée et l’armoire de chêne ; à droite,
l’alcôve fermée d’un rideau de serge verte ; au fond, l’entrée
de la cuisine, près du poêle de fonte aux grosses moulures
représentant les douze mois de l’année, – le Cerf, les
Poissons, le Capricorne, le Verseau, la Gerbe, etc., – et, du
côté de la rue, les deux petites fenêtres qui regardent à travers
les feuilles de vigne sur la place de la Fontaine.
    Je vois aussi l’oncle Jacob, élancé, le front
haut, surmonté de sa belle chevelure blonde dessinant ses larges
tempes avec grâce, le nez légèrement aquilin, les yeux bleus, le
menton arrondi, les lèvres tendres et bonnes. Il est en culotte de
ratine noire, habit bleu de ciel à boutons de cuivre, et bottes
molles à retroussis jaune clair, devant lesquelles pend un gland de
soie. Assis dans son fauteuil de cuir, les bras sur la table, il
lit, et le soleil fait trembloter l’ombre des feuilles de vigne sur
sa figure un peu longue et hâlée par le grand air.
    C’était un homme sentimental, amateur de la
paix ; il approchait de la quarantaine et passait pour être le
meilleur médecin du pays. J’ai su depuis qu’il se plaisait à faire
des théories sur la fraternité universelle, et que les paquets de
livres que lui apportait de temps en temps le messager Fritz
concernaient cet objet important.
    Tout cela je le vois, sans oublier notre
Lisbeth, une bonne vieille, souriante et ridée, en casaquin et jupe
de toile bleue, qui file dans un coin ; ni le chat Roller, qui
rêve, assis sur sa queue, derrière le fourneau, ses gros yeux dorés
ouverts dans l’ombre comme un hibou.
    Il me semble que je n’ai qu’à traverser
l’allée pour me glisser dans le fruitier aux bonnes odeurs, que je
n’ai qu’à grimper l’escalier de bois de la cuisine pour monter dans
ma chambre, où je lâchais les mésanges que le petit Hans Aden, le
fils du sabotier, et moi, nous allions prendre à la pipée. Il y en
avait de bleues et de vertes. La petite Elisa Meyer, la fille du
bourgmestre, venait souvent les voir et m’en demander ; et
quand Hans Aden, Ludwig, Franz Sépel, Karl Stenger et moi nous
conduisions ensemble les vaches et les chèvres à la pâture, sur la
côte du Birkenwald, elle s’accrochait toujours à ma veste en me
disant :
    – Fritzel, laisse-moi conduire votre
vache… ne me chasse pas !
    Et je lui donnais mon fouet : nous
allions faire du feu dans le gazon et cuire des pommes de terre
sous la cendre.
    Oh ! le bon temps ! comme tout était
calme, paisible autour de nous ! Comme tout se faisait
régulièrement ! Jamais le moindre trouble : le lundi, le
mardi, le mercredi, tous les jours de la semaine se suivaient
exactement pareils.
    Chaque jour on se levait à la même heure, on
s’habillait, on s’asseyait devant la bonne soupe à la farine
apprêtée par Lisbeth. L’oncle partait à cheval ; moi, j’allais
faire des trébuchets et des lacets pour les grives, les moineaux ou
les verdiers, selon la saison.
    À midi nous étions de retour. On mangeait du
lard aux choux, des
noudels
ou des
knœpfels
. Puis
j’allais pâturer, ou visiter mes lacets, ou bien me baigner dans la
Queich quand il faisait chaud.
    Le soir, j’avais bon appétit, l’oncle et
Lisbeth aussi, et nous louions à table le Seigneur de ses
grâces.
    Tous les jours, vers la fin du souper, au
moment où la nuit grisâtre commençait à s’étendre dans la salle, un
pas lourd traversait l’allée, la porte s’ouvrait, et sur le seuil
apparaissait un homme trapu,
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