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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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Demain
dimanche, dans l'après-midi, tu viendras à la bibliothèque de l'Ateneo et tu
demanderas à me voir. Tu apporteras le livre pour que je puisse l'examiner à
loisir, et moi je te raconterai ce que je sais sur Julián Carax. Quid pro
quo.
    – Quid pro
quoi ?
    – C'est du
latin, petit. Il n'y a pas de langues mortes, il n'y a que des cerveaux
engourdis. En paraphrasant, ça veut dire que les affaires sont les affaires,
mais que tu me plais et que je vais t'accorder une faveur.
    Cet homme
possédait des dons oratoires capables d'anéantir les mouches en plein vol, mais
je sentais bien que, si je voulais en savoir plus sur Julián Carax, mieux
valait rester en bons termes avec lui. Je lui adressai un sourire béat, en
affichant le plaisir que me causaient les citations latines et son verbe
fleuri.
    –
Souviens-toi, demain, à l'Ateneo, répéta le libraire. Mais tu apportes le
livre, ou foin de notre accord.
    – Très
bien.
    La
conversation se délita lentement dans le brouhaha des autres consommateurs et
dériva vers certains documents trouvés dans les souterrains de l'Escurial qui
donnaient à penser que Miguel de Cervantès n'était que le pseudonyme littéraire
d'une femme à barbe de Tolède. Barceló, absorbé dans ses pensées, ne participa
pas à ce débat byzantin et se borna à m'observer derrière son monocle avec un
vague sourire. Ou peut-être regardait-il seulement le livre que je tenais dans
mes mains.

 
     
     
    2
     
     
     
    Ce
dimanche-là, le ciel s'était nettoyé de ses nuages et les rues se retrouvèrent
noyées dans une buée brûlante qui faisait transpirer les thermomètres sur les
murs. Au milieu de l'après-midi, alors que la température frôlait déjà les
trente degrés, je partis vers la rue Canuda pour me rendre à mon rendez-vous
avec Barceló, le livre sous le bras et le visage couvert de sueur. L'Ateneo
était – et est toujours – un des nombreux endroits de Barcelone où le XIX e siècle n'a pas encore été avisé de sa mise à la retraite. De la cour
solennelle, un escalier de pierre conduisait à un entrelacs fantastique de
galeries et de salons de lecture, où des inventions comme le téléphone, le
stress ou la montre-bracelet semblaient autant d'anachronismes futuristes. Le
portier – mais peut-être n'était-ce qu'une statue en uniforme – m'accorda à
peine un regard. Je me faufilai jusqu'au premier étage, en bénissant les ailes
du ventilateur qui bourdonnait au milieu des lecteurs endormis en passe de
fondre comme des cubes de glace au-dessus de leurs livres et leurs journaux.
    La
silhouette de Gustavo Barceló se découpait près des baies vitrées d'une galerie
donnant sur le jardin intérieur. Malgré l'atmosphère tropicale, le libraire
n'en était pas moins habillé comme une gravure de mode, et son monocle brillait
dans la pénombre comme une pièce de monnaie au fond d'un puits. A côté de lui,
je distinguai une forme vêtue d'alpaga blanc qui me parut être un ange sculpté
dans un nuage. A l'écho de mes pas, Barceló se retourna et, de la main, me fit
signe d'approcher.
    – C'est
toi, Daniel ? demanda-t-il. Tu as apporté le livre ?
    J'acquiesçai
aux deux questions et acceptai la chaise qu'il m'offrait près de lui et de sa
mystérieuse compagne. Pendant plusieurs minutes, le libraire se contenta
d'arborer un sourire placide, sans tenir compte de ma présence. J'abandonnai
bientôt tout espoir qu'il me présente à l'inconnue en blanc. Barceló se
comportait comme si elle n'était pas là, comme si ni lui ni moi ne pouvions la
voir. Je l'observai à la dérobée, craignant de rencontrer son regard perdu dans
le vide. Son visage et ses bras étaient pâles, la peau presque translucide.
Elle avait des traits fins, fermement dessinés sous une chevelure noire qui
brillait comme un galet humide. Je lui attribuai vingt ans au plus, mais
quelque chose dans sa manière de se tenir, une sorte d'abandon de tout son
être, comme les branches d'un saule pleureur, me faisait penser qu'elle n'avait
pas d'âge. Elle semblait figée dans cet état de perpétuelle jeunesse réservé
aux mannequins dans les vitrines des magasins chics. J'essayais de lire le
battement de son sang sur ce cou de cygne quand je m'aperçus que Barceló me
fixait du regard.
    – Alors,
vas-tu me dire où tu as trouvé ce livre ? questionna-t-il.
    —Je
voudrais bien, mais j'ai promis à mon père de garder le secret.
    – Je vois.
Sempere et ses mystères, dit Barceló. Mais
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