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L'holocauste oublié

L'holocauste oublié

Titel: L'holocauste oublié
Autoren: Christian Bernadac
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avions – c’est surtout Lucette – organisé une véritable solidarité autour d’elle ; même les Polonaises ont accepté de nous donner chaque jour, pour elle, deux pommes de terre et une ration de pain. Un jour, les Russes ont apporté des gâteaux secs et un demi-saucisson. Ansa, ce jour-là, a pleuré.
    Elle est partie. Je reverrai jusqu’à ma mort son dernier geste, son dernier regard vers nous. Elle s’est retournée. Elle a fermé deux fois les yeux. Elle a levé légèrement sa main droite. Puis elle a fermé le poing. Elle ne souriait pas. Il y avait un peu de soleil. La peau de son visage brillait comme de l’ébène. Frédérique a murmuré « Bonne chance Ansa ». Je crois sincèrement qu’elle a été libérée. J’ai appris par la suite que plus de cent tsiganes d’Auschwitz, toutes stérilisées au block 10, avaient été épargnées lors de la liquidation du camp tsigane d’Auschwitz.

LE SOLEIL DE GENTHIN
    Seule (4) Française au milieu de mille Russes, Polonaises, Tchèques et Yougoslaves, je me sentais vraiment perdue. Peu à peu les choses se sont arrangées mais je dois certainement ces « amitiés » qui se sont révélées plus à ma fonction, ma position, qu’à ma personnalité. Je ferai cependant une exception qui m’a révélé un peuple que je ne connaissais pas, que je n’imaginais pas et qui a probablement plus souffert en déportation que les autres nations, parce que ses représentantes ne comprenaient pas cet univers concentrationnaire avec ses lois, ses incertitudes, ses invraisemblances, ses crimes, sa haine et que pour elles, la notion de « liberté » représentait une autre valeur que pour nous, habituées depuis sans doute des millénaires à une vie sédentaire sans de trop grandes improvisations.
    Les tsiganes n’étaient que sept à Genthin, toutes jeunes. Dix-huit à vingt-cinq ans. Toutes sept originaires de Yougoslavie. Elles roulaient de camp en camp depuis plus de trois ans. Décharnées, hallucinées, ahuries, elles vivaient pratiquement en communauté, repliées sur elles-mêmes, rejetées, cela va sans dire, par l’ensemble des autres détenues comme une vermine particulièrement néfaste. Dès qu’il y avait un vol on accusait les tsiganes, comme on les rendait responsables des appels prolongés pour retard, des réveils anticipés, en un mot de tous les désagréments supplémentaires inventés pour nous affaiblir, nous humilier. Les premières à dénoncer les tsiganes étaient bien entendu leurs « compatriotes » yougoslaves. Je savais, en les regardant dans les rangs, qu’elles ne tiendraient plus longtemps. Leur survie pouvait s’évaluer en semaines et non plus en mois comme pour le reste du Kommando. Trop méfiantes pour se présenter à l’infirmerie, c’était à moi de me débrouiller pour les y faire entrer. L’une après l’autre. Mais l’affaire était urgente.
    Je m’explique mal, encore aujourd’hui, l’intérêt que j’ai porté soudainement à ces jeunes femmes. Peut-être parce que j’étais la seule Française du camp et que malgré mon lit, la satisfaction d’avoir obtenu des médicaments, de pouvoir enfin faire mon métier, j’étais quand même désespérée d’être seule, de me trouver seule ; peut-être oui, j’ai imaginé que si je n’étais plus médecin mais une simple détenue moyenne, une déportée ordinaire perdue au centre de ces mille femmes qui luttaient pour ne pas être balayées, écrasées, broyées, j’aurais rapidement succombé, baissé les bras, abandonné. Les tsiganes de Genthin devaient être à la frontière du désespoir et du renoncement. Et puis, surtout, j’étais révoltée par ce mépris, cette méchanceté, cette injustice des autres… de toutes les autres.
    Je persuadai la Kommandante – ce ne fut guère difficile tant elle avait peur des épidémies – que j’avais constaté sur les jambes de plusieurs prisonnières des plaies en plaques graves, qui, si elles n’étaient pas soignées énergiquement, pourraient contaminer l’ensemble du camp. Normalement on devrait isoler ces « cas » mais il n’était pas question de compromettre le bon fonctionnement de l’usine. Je pouvais enrayer l’épidémie si on me permettait de garder au Revier deux malades pendant trois jours qui seraient remplacées par deux autres et ainsi de suite. En un mois le problème serait réglé.
    La Kommandante que j’avais su étonner par mes premières interventions
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