Le méridien de Paris - Une randonnée à travers l'histoire
seulement en
surnom, Bricktop.
raison de son aventure passionnée avec
Georges Simenon.
Le jazz arrive
dans la capitale
Une ville ouverte et tolérante
Il paraît que, les premiers temps, elle pleurait On sait qu’après la Première Guerre mondiale, sur la petite scène du Grand Duc . Elle com-beaucoup d’Américains vinrent s’installer dans mençait déjà à être connue en Amérique et était la capitale française, pour un temps plus ou
donc habituée à un meilleur public, surtout plus moins long. Pour eux, la vie en France ne coû-
nombreux. Mais les choses changèrent quand
tait rien à l’époque. Nous parlons là des
elle fit la connaissance de l’actrice (blanche) Américains blancs. Nombre d’écrivains ont
Fanny Ward qui vint l’applaudir avec ses amis.
chanté le Paris d’alors. Quantité de livres ont Bricktop devint alors the talk of the town. Le été écrits. Comme si la littérature américaine Grand Duc était bondé tous les soirs. D’autres provenait essentiellement de la Ville lumière. Il clubs ouvrirent leurs portes. Paris découvrait le n’y avait pas le moindre intérêt pour les
jazz. Bricktop donnait des cours de charleston musiciens de jazz noirs d’alors, comme pour
à Cole Porter lors des soirées qu’il organisait les autres Afro-Américains, alors même que
dans son magnifique appartement de la rive
la capitale française allait très vite avoir une gauche. Scott Fitzgerald et d’autres Américains signification très particulière à leurs yeux.
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L e M é r i d i e n d e P a r i s
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L e M é r i d i e n d e P a r i s
Paris se révéla être en effet une sorte de
américains était-il grand quand les Français
paradis, une ville sans racisme, sans
leur adressèrent des paroles aimables telles
apartheid, une zone franche sur les rives de
que « soldat noir, très gentil, très poli ».
la Seine. Paris avait la réputation de ne pas Même les prostituées prenaient parti pour
voir les couleurs.
eux. Il y eut de fameuses bagarres à Pigalle
C’est pourquoi, à partir de ce moment-là jusque parce que les marines américains ne
tard dans les années soixante, des générations supportaient pas que les Françaises
successives de Noirs américains, souvent des
dansent avec des hommes noirs. Les filles
artistes à l’image de ceux du mouvement lit-
de joie et leurs souteneurs choisissaient le
téraire Harlem Renaissance, se rendirent en
camp des noirs. Ce qui échappait à la plupart France. Et avant tout à Paris bien sûr. Ils
des Afro-Américains, c’était que les Français avaient compris que le climat social y donnait maintenaient une stricte séparation des
beaucoup moins le mal de tête, comme l’expri-
couleurs dans leurs propres colonies et que
ma un jour le pianiste Kenny Drew, qu’en
leur attitude envers les Américains noirs se
Amérique, encore si raciste à l’époque.
nourrissait de certains stéréotypes assez
Les soldats noirs du corps expéditionnaire
douteux. « Tout ce qu’ils savaient, c’est que américain ne tardèrent pas à en faire
les Français les traitaient mieux que ne l’avait l’expérience. Leur propre état-major les
jamais fait un Blanc, et ils réagissaient en
mobilisait pour les corvées les moins
conséquence, » écrit Tyler Stovall dans son
nobles, comme décharger les navires.
fascinant ouvrage Paris Noir, African
On les jugeait inaptes aux actes de
Americans in the City of Light.
combat. Ils n’étaient même pas assez
bons pour servir de chair à canon, contraire-
Fuir l’Amérique raciste
ment à leurs frères africains des colonies
Ces expériences positives donnèrent une répu-
françaises. Après la guerre, ils furent exclus tation quasi mythique à Paris chez les Noirs
de la participation aux parades triomphales.
d’Amérique. Aussi le contraste était-il grand.
Car, aux États-Unis, malgré leurs efforts, les soldats noirs ne constataient guère d’amélio-Eugene Bullard,
ration de leur sort. Au contraire même,
fondateur du Grand Duc
comme semblait le montrer « l’été rouge »
L’histoire du fondateur du Grand Duc , Eugene de 1919. Cette série de révoltes raciales
Bullard, est exemplaire à cet égard. Il était venu sanglantes commençaient généralement par
en France en passager clandestin, après que
des lynchages provoqués par de jeunes
son père lui eut dit qu’il n’y avait « pas d’églises séparées pour les
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