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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ
Autoren: Max Gallo
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en être atteint. Il prend sa place dans le rang.
    On le suit des yeux. On murmure. On admire sa fermeté. Et les jours suivants, on lui manifeste des signes d’estime. Il savait résister. On reconnaissait son courage.
    Il accepte ces marques de respect, se mêlant à quelques jeux, les dirigeant même, comme en cet hiver 1783, quand il faut construire dans la cour de l’école un véritable fort, et qu’il commande à une bataille de boules de neige.
    Mais il reste un récif inaccessible que rien ne peut entamer, et plus les années passent, plus il se sent autre, ne pouvant participer aux joies de ces Français.
    Et même s’il est, comme tous les élèves, assidu par obligation aux messes, aux communions, récitant les prières, il refuse de « pactiser » avec ceux que, pourtant, il côtoie maintenant depuis plusieurs années.
    Les commander, peut-être, mais être l’un d’eux, jamais.
     
    En 1782, il a treize ans. C’est un adolescent maigre, aux cheveux si raides et si rebelles qu’un perruquier, en violation du règlement de l’école, les coiffe.
    Le sous-inspecteur général des écoles militaires, le chevalier de Keralio, maréchal de camp, arriva à Brienne en septembre cette année-là, pour sa tournée d’inspection. Il fit comparaître les élèves devant lui, consulta leur dossier, étudia leurs résultats, interrogea ces enfants qui se présentaient devant lui comme de vieux soldats.
    Bonaparte rêvait de mer et de navires. D’autres nobles corses servaient sur les bâtiments de Sa Majesté. Pourquoi pas lui ? Il pourrait revoir le ciel méditerranéen, croiser des côtes de Provence à la Corse.
    M. de Keralio fut satisfait de l’entretien. Le jeune homme était méritant, brillant en mathématiques, « de bonne constitution, de santé excellente, de taille de quatre pieds, dix pouces, dix lignes 1 », mais faible dans les exercices d’agrément et en latin.
    M. de Keralio prit la décision d’envoyer Napoléon Bonaparte le plus rapidement possible à l’École Militaire de Paris, dans la compagnie des cadets gentilshommes où entraient les meilleurs boursiers des écoles militaires. Puis il pourrait rejoindre Toulon.
    Bonaparte écoute, exulte sans que l’un de ses traits tressaille. Il n’a plus que quelques mois à passer à Brienne. Il marche à grands pas vers son ermitage. Il s’y calme. L’avenir semble ouvert comme la mer.
    Mais quelques mois suffisent pour que l’espoir se brise, et l’adolescent se ferme. Keralio a été remplacé en juin 1783 par un autre inspecteur, Reynaud des Monts, qui juge Bonaparte trop jeune pour l’École Militaire de Paris, qui rejette le choix de la marine et l’oriente vers l’artillerie, l’arme savante destinée à des élèves qui, comme Bonaparte, excellent en mathématiques. Mais de toute manière, selon le nouvel inspecteur, il est trop tôt pour quitter Brienne : ce Napoleone Buonaparte n’a encore passé que quatre ans et quatre mois à l’école. Qu’il patiente !
     
    Colère, amertume à nouveau. Bonaparte se retire dans son ermitage. L’école de Brienne ne peut plus rien lui apprendre. Il n’y suit plus, d’ailleurs, que les classes de mathématiques. Il se désintéresse du latin. Il connaît toutes les autres matières. Il lit, il ronge son frein, refusant de participer à la vie de l’école.
    Quand, le 25 août 1784, le jour de la Saint-Louis, les élèves célèbrent « Louis XVI, Notre Père », il ne se mêle pas aux cortèges. On chante dans les corridors. On fait exploser des pétards, selon la tradition.
    Tout à coup, une explosion plus violente que les autres : les étincelles d’un feu d’artifice tiré par un voisin de l’école ont mis le feu à un caisson de poudre. La panique s’empare des élèves, qui s’enfuient et, dans leur course, renversent la palissade de l’enclos de Bonaparte, brisent ses arbres, détruisent son « ermitage ».
    Il se jette au-devant d’eux, armé d’une pioche, pour tenter de les arrêter, pour défendre son territoire, indifférent à leur peur, au danger qu’ils courent peut-être.
    On l’insulte. Il menace avec sa pioche. On l’accuse d’égoïsme et de dureté. On lance que les réjouissances en l’honneur du roi de France ont peut-être exaspéré l’étranger, Paille-au-Nez, et, qui sait, le républicain, puisque tel avait été le régime rêvé de la Corse indépendante.
    Napoléon ne daigne pas répondre, même si la fureur l’envahit à l’idée
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