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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ
Autoren: Max Gallo
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l’extérieur. En cas de besoin, l’élève doit appeler un domestique qui veille dans le corridor.
    L’enfant écoute, refoule cette envie de hurler, de s’enfuir.
    Chez lui, dans sa maison, on l’appelait Rabulione , celui qui touche à tout, qui se mêle de tout.
    Ici, le règlement et la discipline l’enchaînent. L’élève doit quitter sa cellule dès qu’il est levé et n’y rentrer que pour dormir. Il passe sa journée en salle d’étude ou à façonner son corps. Il faut que « les élèves cultivent les jeux et surtout ceux qui sont propres à augmenter la force et l’agilité ».
    Dans le corridor, l’enfant entend des pas. D’autres élèves arrivent à l’école. Il les aperçoit, devine à leurs vêtements l’aisance de leurs familles. Il écoute leurs voix. Français, tous, de bonne noblesse.
    Il se sent plus seul encore.
    « Les écoliers changent de linge deux fois par semaine », ajoute le principal. L’enfant le suit à nouveau dans le corridor. Il entre après lui dans le réfectoire. C’est là que la centaine d’élèves qu’accueille l’école va se réunir par grandes tables, sous des voûtes austères, en présence des maîtres. Pain, eau et fruits à déjeuner et à goûter. Viande aux deux repas.
    L’enfant s’assied au milieu des autres. On le regarde. On chuchote. D’où vient-il ? Quel nom ? Napoleone ? Quelqu’un s’esclaffe, rit. « Paille au nez ».
    Voilà ce qu’ils ont entendu.
    Je les hais .
     
    Il est l’étranger.
    Ses maîtres de géographie ne disentils pas, malgré la conquête française, que la Corse est une dépendance de l’Italie, un pays étranger donc ?
    Napoléon l’accepte, le revendique. Il méprise et s’isole. Il se bat quand on réussit à percer son armure, à le surprendre.
    On lui tend des pièges. On pousse vers lui un nouvel élève arrivé à l’école en juin 1782. On a incité ce Balathier de Bragelonne, fils du commandant de Bastia, à se présenter à Napoleone « Paille-au-Nez » comme génois. Napoléon l’interpelle aussitôt en italien : « Sei di questa maledetta nazione ? », « Es-tu de cette nation maudite ? » L’autre fait oui. Aussitôt Napoléon se précipite, saisit Balathier aux cheveux, et il faut séparer les combattants.
    Napoléon s’éloigne, patriote corse de douze ans dont l’orthographe française est si défaillante qu’il écrit de façon illisible pour dissimuler ses fautes même si le style s’affirme et si la phrase s’affûte au rythme d’une pensée qui s’affermit et se déploie.
    Car l’enfant solitaire veut prendre le dessus, effacer sa condition de vaincu.
    Étranger ? Peut-être. Soumis, jamais.
    Il confie à Bourrienne, l’un des rares élèves avec lesquels il parle : « J’espère rendre un jour la Corse à la liberté ! Que sait-on ? Le destin d’un empire tient souvent à un homme. »
    Ses lectures l’exaltent. Il lit et relit Plutarque. Il fait de l’Histoire sa matière favorite, avec les mathématiques où il excelle, selon son professeur, le père Patrault, qui murmure en l’écoutant résoudre des problèmes d’algèbre, de trigonométrie, de géométrie, de sections coniques : « C’est un enfant qui ne sera propre qu’à la géométrie. »
    L’enfant laisse dire. Il aime à la fois les jeux abstraits de l’esprit, qui le font échapper à la réalité pleine d’humiliations et de contraintes, mais aussi les Vies illustres de Plutarque qui lui permettent de s’évader dans une réalité autre, non pas imaginaire, puisqu’elle a existé, qu’elle est histoire et qu’elle peut, donc, renaître.
    Avec lui.
    Il s’identifie aux héros dont il suit le destin. Il est le « spartiate ». Il est Caton et Brutus, Léonidas.
    Il marche dans la cour, son Plutarque à la main. On ne l’interpelle même plus. Mais au fil des mois, en constatant que ce qu’il avait pressenti dans un mouvement spontané de fierté est vrai, qu’il est supérieur à la plupart, peut-être à tous, il répond quand on s’adresse à lui. Il est devenu aigre, piquant. Il ordonne plutôt qu’il ne plie. Il juge. Il condamne.
    Parfois, dans les corridors, il entend le frottement de pas qui glissent vers les cellules. Ce sont les « nymphes », élèves aux allures et aux moeurs équivoques qui cherchent un compagnon pour quelques instants de la nuit.
    Napoléon est révulsé, et cependant on le courtise. Il a cette finesse des traits et cette insolence qui attirent. Il rejette avec
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