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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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énormes sacs de toile aux noms de terres inconnues. Ne
plus jamais entendre le matin leur merveilleuse cac o phonie
en allant au travail, ne plus sentir les fabuleuses odeurs d'épices
qui s'échappaient des sacs, et ne plus rendre leurs sourires à
ces marins venus du bout du monde ! Ne plus jamais les revoir ! Marie
serra un sanglot au fond de sa gorge. À quoi bon pleurer? Il
fallait se raisonner, rester forte, ne pas g é mir,
ne pas perdre la moindre énergie. Marie n'était
peut-être pas née à la meilleure place ni dans la
meilleure maison, mais elle avait appris à se débroui l ler,
et elle aimait la vie. On l'arrachait à sa terre, à son
pays, on l'envoyait au bagne de l'autre côté de l'océan.
Pourquoi ? Elle ne savait rien de ce qui l'attendait dans les terres
de Guyane où on l'envoyait, pe r sonne
ne lui avait rien expliqué. Mais elle était sûre
d'une chose : son pays était celui-ci, celui auquel on
l'enlevait. R e viendrait-elle
un jour ?
    Tout
autour d'elle les gémissements avaient cessé, et les
pleurs au s si.
Les femmes, épuisées, dormaient pour la plupart. Sauf
Louise qui ne cessait de parler ! Qui prenait le moindre prétexte
pour houspiller l'une ou l'autre. Marie posa délicat e ment
la chemise fleurie tout au-dessus des autres vêtements dans le
sac pour l'abîmer le moins po s sible,
puis serra la ficelle aussi fort qu'elle pouvait, et réussit à
le caler derrière elle, entre son dos et la carcasse du
navire. Elle voulait dormir un peu.
    — ...
Et quand tu briquais les appartements de ces dames à Bo r deaux,
continuait Louise sans se laisser démonter par son
indifférence, tu ne pensais quand même pas les
convaincre que tu étais quelqu'un de bien ? Parce qu'il faut
s'en tenir une couche pour penser une ânerie p a reille.
Je vais te dire quelque chose moi. Mets-toi bien dans la tête
une fois pour toutes que quand tu lessives le sol, t'es qu'une
serpillière. La saleté ne disparaît pas par
enchantement, elle déménage de là où tu
l'enlèves, c'est tout. Et devine où elle s'in s talle
?
    — ...
    — Sur
celle qui croit s'en débarrasser, pardi ! Tu la sors du joli
meuble Empire de Madame et de sa vaisselle grai s seuse,
et hop ! voilà la graisse et la poussière qui
s'incrustent sur toi. Sur ta figure, sur ta chevelure. Et je te dis
pas l'effet que ça fait. On le voit au premier coup d'œil
quand on te regarde. On se dit : « Tiens, voilà une
boniche, une sacrée pourrie de boniche ! » E n fonce-toi
bien ça dans le crâne et n'essaie pas ici de jouer à
la dame bien propre et bien rangée. Ça ne trompe
pe r sonne.
    Tout
en parlant, Louise joignait le geste à la parole et mimait les
scènes successives. Marie en train de lessiver, de passer le
chiffon avec des airs de dame, puis elle devenait la poussière
qui vole et d é ménage,
la chevelure qui cherche à s'en débarrasser en vain et,
enfin, faisant un d e mi-tour
sur elle-même pour changer de personnage, elle mimait les airs
ha u tains
de ces dames de Bordeaux, Louise avait un physique musclé,
solide, et elle était dotée d'une voix un peu grasse.
Elle parlait d'un ton énergique et faisait preuve d'un réel
sens des s i tuations
et du comique. En tout autre lieu son talent d'imitatrice aurait
déclenché des successions de fous rires. Mais dans
cette assemblée d'une cinquantaine de femmes plongées
dans la nuit d'un cachot, elle n'arracha même pas un seul
so u rire.
Celles qui n'avaient pu trouver le sommeil la regardaient, asso m mées
de fatigue et d'angoisse, hébétées, ne
comprenant pas comment elle pouvait parler et gesticuler autant.
Comment elle pouvait être encore aussi vivante, et pire, aussi
drôle, alors qu'elles allaient tout droit en e n fer,
embarquées pour un voyage sans retour, pour une destination
qu'elles n'avaient pas choisie et qui portait un nom à lui
seul terrifiant : le bagne de Cayenne. Elles n'avaient
plus de larmes ni de forces. Dans la pénombre on devinait
leurs visages éteints, l'effarement avait tiré leurs
traits et laissé leurs yeux grands ouverts. Elles avaient
froid, et peur. D'étranges craqu e ments
résonnaient autour d'elles, montant du ventre du navire. On
a u rait
dit un troupeau de damnées qu'un guide venu du fond des âges
a u rait
décidé d'emporter à jamais dans son cercueil
maudit. Le navire tanguait et roulait de plus en plus fort. Les coups
de boutoir de l'océan résonnaient contre la coque
d'acier. Là-haut il devait y avoir une s a
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