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HHhH

HHhH

Titel: HHhH
Autoren: Laurent Binet
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se poserait. Dans un premier temps,
il faudrait tous les transférer à la campagne. Mais la Gestapo est toujours sur
les dents, la ville est en état d’alerte maximum, il faut attendre. C’est
bientôt la Saint-Adolf et pour fêter ça (car, précision utile, Adolf est le
prénom du lieutenant Opálka), la tante voudrait trouver des escalopes. Elle
aimerait bien aussi leur faire un bouillon aux boulettes de foie. C’est bien
simple, les garçons ne l’appellent plus « tante » mais
« maman ». Sept hommes surentraînés réduits à l’inaction, aussi
vulnérables que des enfants, cloîtrés dans cette cave humide, s’en remettent
entièrement à cette petite dame maternante. « Il faut tenir jusqu’au
18 », se répète-t-elle. Nous sommes le 16.
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    Karel Čurda se tient
debout sur le trottoir, tout en haut de la rue Bredovska, aujourd’hui
rebaptisée Růžová, la rue rose, que les Tchèques, en souvenir, appellent
aussi « la rue des prisonniers », et qui débouche sur la Gare
centrale, ex-gare Wilsonovo. En face, le palais Peček est une imposante
bâtisse en pierre grise, lugubre et parfaitement inquiétante, qui fait angle.
Cet immeuble massif a été édifié après la Première Guerre mondiale par un
banquier tchèque qui possédait la quasi-totalité des mines de charbon en Bohême
du Nord. Peut-être l’anthracite qui recouvre la façade du bâtiment était-elle
comme un rappel de l’origine charbonneuse de sa fortune. Mais le banquier a
cédé mines et palais au gouvernement, préférant prudemment quitter le pays pour
se rendre en Angleterre juste avant l’invasion allemande. Aujourd’hui encore,
le palais Peček est un bâtiment officiel qui abrite le ministère du
Commerce et de l’Industrie. Mais en 1942, c’est le quartier général de la
Gestapo pour la Bohême-Moravie. Près de mille employés y travaillent aux tâches
les plus noires, dans des couloirs si sombres que, même en plein jour, on
croirait qu’il fait nuit. Situé au cœur de la capitale, doté d’un équipement
ultramoderne, avec une imprimerie, un laboratoire, une poste pneumatique et un
central téléphonique, l’édifice est, d’un point de vue fonctionnel, absolument
optimal pour la police nazie. Ses nombreux sous-sols et caves ont été, comme il
se doit, savamment aménagés. La maison est dirigée par le Docteur Geschke, un
jeune Standartenführer dont la seule vue en photo me glace le sang, avec sa
balafre, sa peau de femme, ses yeux fous, ses lèvres cruelles, sa raie sur le
côté et son crâne à demi rasé. Bref, le palais Peček est l’image même de
la terreur nazie à Prague et il faut un certain courage, ne serait-ce que pour
stationner devant le bâtiment. Karel Čurda n’en manque pas mais c’est
qu’il est motivé par vingt millions de couronnes. Il faut du courage pour
dénoncer ses camarades. Et il faut bien peser le pour et le contre. Rien ne lui
garantit que les nazis tiendront parole. Il s’apprête à jouer sa vie à quitte
ou double : la fortune ou la mort. Mais Čurda est un aventurier.
C’est par goût de l’aventure qu’il s’est enrôlé dans les forces tchécoslovaques
libres. C’est ce même goût de l’aventure qui l’a fait se porter volontaire pour
des missions spéciales dans le Protectorat. Cependant son retour au pays ne lui
a pas plu, la clandestinité n’ayant finalement rien d’attrayant. Depuis
l’attentat, il vit chez sa mère, en province, dans la petite ville de Kolín, à
60 kilomètres à l’est de Prague. Auparavant il a quand même eu le temps de
rencontrer un maximum de personnes impliquées dans la Résistance, dont Kubiš et
Valičík, avec lesquels il a participé à l’opération Škoda à Pilsen, ainsi
que Gabčík et Opálka, qu’il a croisés à plusieurs reprises au gré des
changements de planques à Prague. Il connaît, entre autres, l’appartement des
Svatoš, qui ont fourni un vélo et une serviette pour l’attentat. Il connaît
aussi et surtout l’adresse des Moravec. Je ne sais pas pourquoi il est passé
chez eux il y a trois jours. Avait-il déjà l’intention de trahir ? Ou bien
cherchait-il à reprendre contact avec le réseau dont il était sans
nouvelles ? Mais pourquoi être revenu à Prague, sinon pour la
récompense ? N’était-il pas plus en sécurité chez sa mère, dans la
pittoresque petite ville de Kolín ? À vrai dire, pas vraiment :
Kolín, en 1942, est un centre administratif allemand ; c’est
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