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Enfance

Enfance

Titel: Enfance
Autoren: Nathalie Sarraute
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paquets sous mes pieds, se glisse auprès de moi derrière l’énorme dos du cocher revêtu de son épaisse houppelande.  
     
    Nous sommes dans l’appartement de mon père à Moscou. Un grand arbre de Noël occupe le centre de l’une des pièces. Cette fois je peux discerner vaguement une jolie jeune femme blonde qui aime rire et jouer… Je lui tends toutes sortes de petits paquets, d’objets, de jouets posés par terre auprès de l’arbre, des noix dorées, de toutes petites pommes rouges de Crimée, et elle les attache aux branches par des faveurs rouges, des fils d’or et d’argent…
    Et puis dans l’entrée de l’appartement sont assis des enfants, nos invités qui partent après la fête… on leur enlève leurs souliers, on cherche partout, sous les banquettes, on retrouve et on enfile sur leurs jambes tendues leurs bottes de feutre.
     
    Je suis couchée dans ma petite chambre arrangée pour moi dans ce même appartement, mon lit est appuyé contre un mur couvert d’une natte de paille avec des dessins brodés. Je me couche toujours tournée vers elle, j’aime caresser du doigt sa texture lisse, regarder sa délicate couleur dorée, l’éclat soyeux de ses oiseaux, de ses arbrisseaux, de ses fleurs… Ici, je ne sais pourquoi, j’ai peur seule le soir dans ma chambre et papa a consenti à rester auprès de moi jusqu’à ce que je m’endorme… Il est assis sur une chaise derrière moi et il me chante une vieille berceuse… sa voix basse est incertaine, comme un peu éraillée… il ne sait pas bien chanter et cette maladresse donne à ce qu’il chante quelque chose d’encore plus touchant… je l’entends aujourd’hui si distinctement que je peux l’imiter et j’avoue que parfois cela m’arrive… dans cette berceuse, il a remplacé les mots « mon bébé » par le diminutif de mon prénom qui a le même nombre de syllabes, Tachotchek… Petit à petit je m’assoupis, sa voix devient de plus en plus lointaine… et puis j’entends derrière moi le bruit léger que fait sa chaise, il doit être en train de se lever, il croit que je dors, il va s’en aller… et aussitôt je sors une main de sous la couverture pour lui montrer que je suis toujours éveillée… ou je perçois les craquements du parquet sous ses pas lents, prudents… il va entrouvrir tout doucement la porte… alors je toussote, je pousse un grognement… mais je ne parle pas, cela pourrait me réveiller complètement et je veux dormir, je veux qu’il puisse partir, cela m’ennuie de le retenir…  
    — Vraiment ? Ne crois-tu pas que lorsque tu le sentais derrière ton dos, les yeux rivés sur toi, chantonnant de plus en plus faiblement, se dirigeant sur la pointe des pieds vers la porte, se retournant sur le seuil une dernière fois pour t’observer, pour s’assurer que tu ne te doutes de rien, et puis ouvrir la porte, la refermer avec d’immenses précautions et délivré enfin prendre la fuite… ne crois-tu pas que ce qui te faisait sortir une main, toussoter, grogner, c’était le désir d’empêcher ce qui se préparait, ce qui allait arriver, et qui avait déjà pour toi le goût de la trahison sournoise, de l’abandon ?  
    — Je reconnais que tout paraissait réuni pour que cela se forme en moi… Mais j’essaie de me retrouver, là, dans ce petit lit, écoutant mon père se lever, marcher vers la porte… je sors la main, je pousse un grognement… non, pas encore, ne pars pas, je vais avoir peur, tu m’as promis, c’était convenu que tu resterais avec moi tant que je ne serais pas endormie, je fais tout ce que je peux, je vais y arriver, tu verras, je ne dois pas parler, pas trop remuer, je veux juste t’indiquer, puisque c’était convenu, qu’un pacte entre nous a été conclu, je sais que tu veux le respecter, et moi aussi, vois-tu, je le respecte, je te préviens… tu ne veux pas que j’aie peur… reste juste encore un peu, je sens que le sommeil vient, alors tout sera pour moi très bien, je ne sentirai plus rien et tu pourras tranquillement me laisser, t’en aller…  

 
    La calèche s’arrête devant le perron d’une grande maison en bois, papa me dégage des couvertures où je suis enfouie, il me prend dans ses bras, je suis toute petite, j’ai mon manteau de velours blanc si beau qu’on me dit que dedans je suis une « vraie poupée », il me porte en escaladant très vite les marches, il me dépose dans les bras de mon grand-père et de ma grand-mère qui
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