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L’impératrice lève le masque

L’impératrice lève le masque

Titel: L’impératrice lève le masque
Autoren: Nicolas Remin
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semblaient avoir perdu aussi quelque chose de leur réalité. Les yeux grands ouverts et rivés dans le vide, les deux victimes avaient l’air de se trouver dans un monde à eux dont n’émanait ni menace ni peur.
    Le conseiller était allongé au bord de la couchette, la jeune femme dans le fond. Entre eux, un drap froissé recouvrait la main droite de l’homme. On aurait dit qu’il tenait quelque chose, le tissu formait une bosse.
    — Quelqu’un a-t-il touché aux corps ?
    — Non. J’ai aussitôt ordonné qu’on ferme la cabine à clé et qu’un matelot monte la garde… Moosbrugger affirme que M. Hummelhauser est un habitué, ajouta-t-il de lui-même.
    — Et la femme ?
    — Elle ne figure pas sur la liste des passagers de première classe. Le conseiller a peut-être fait sa connaissance sur le port.
    — Sur le port ?
    Tron ne put contenir sa surprise.
    — Est-il fréquent que des passagers de première classe fassent monter dans leurs cabines des jeunes filles rencontrées au port ?
    Landrini haussa les épaules.
    — Je ne saurais vous le dire, commissaire. C’est à Moosbrugger qu’il faut poser cette question.
    Tron se pencha au-dessus du lit et souleva le drap qui recouvrait la main droite de Hummelhauser. Elle renfermait un Derringer, un petit pistolet à double canon utilisé surtout par les femmes et les joueurs. Le conseiller avait lâché l’arme avant que la mort ne survienne. Le commissaire parvint donc à la prendre avec précaution. En ouvrant le canon, il constata que les magasins étaient vides. Il la referma et la remit à sa place.
    — Suicide ?
    La voix de Landrini avait monté en fin de mot, mais il était difficile de savoir s’il s’agissait d’une question ou d’un constat.
    « Étrange, songea le commissaire, pour beaucoup de gens, la mort est moins effrayante quand il s’agit d’un suicide que quand il s’agit d’un meurtre. Parce qu’ils s’imaginent qu’un suicide est plus paisible ? » La jeune femme n’avait pourtant pas l’air d’avoir connu une mort tranquille.
    Assurément, l’hypothèse du suicide était commode, car elle autorisait une succession plausible de péchés et d’expiations. La jeune femme s’était peut-être laissé attacher de plein gré. Puis les choses avaient déraillé. Le conseiller n’avait sans doute pas eu l’intention de la tuer et, en désespoir de cause, n’avait finalement trouvé d’autre issue que de tourner son arme contre lui-même.
    Si le poing de la victime avait été fermé, le commissaire n’aurait pas vu les taches sur la face intérieure de son majeur. Sur le coup, il aurait été incapable de dire ce qui le troublait, mais il comprit bientôt : c’était le fait qu’elles se trouvaient sur la main gauche .
    — Je doute qu’il s’agisse d’un suicide, avança-t-il en s’agenouillant devant la couchette. Mais peut-être l’assassin voulait-il que cela en ait l’air.
    Il tira un mouchoir blanc de son manteau en fourrure et le mouilla sur la pointe de la langue. Puis il passa la partie humide sur le doigt de Hummelhauser. Le tissu devint noir.
    — Vous voyez ?
    Tron se retourna et tendit le mouchoir à Landrini.
    — Quoi ?
    — Cette tache sur mon mouchoir.
    — Qu’est-ce que c’est ?
    — De l’encre, répondit le commissaire. Hummelhauser écrivait de la main gauche. Or un gaucher ne met pas fin à ses jours en se tirant une balle deux fois de la main droite dans la tempe gauche.
    Tron se releva et fit un pas en arrière. Le conseiller était allongé sur le dos à l’extrême limite du matelas. Son gilet et sa lavallière avaient un peu glissé, mais aucun de ses vêtements n’avait été déchiré ou même simplement dérangé. Ses jambes étaient posées comme il faut, l’une contre l’autre, presque parallèles au bord du lit. Soudain, le commissaire eut le sentiment que l’impression de mise en scène ne tenait pas qu’au rideau de velours rouge qui lui faisait penser à une tragédie. Il secoua la tête.
    — Peut-être n’y a-t-il pas eu de combat du tout ? remarqua-t-il. On a parfaitement pu lui tirer dessus pendant qu’il dormait ou qu’il avait perdu connaissance.
    — Mais qui a bien pu tuer le conseiller ?
    Tron haussa les épaules.
    — Ça, je ne sais pas. En tout cas, cela n’a pas l’air d’être un suicide.
    — Comment allez-vous procéder ?
    — Je vais d’abord interroger les stewards et ensuite les passagers de première classe. Veillez à ce que, dans un
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