La lance de Saint Georges
une
fatalité. Mais il écarta ces pensées et éperonna son cheval.
— Montjoie saint Denis ! cria-t-il en sachant bien
qu’il ne faisait que simuler l’enthousiasme.
Personne d’autre dans cet assaut ne semblait sujet au doute.
Les chevaliers commençaient à se heurter en s’efforçant de diriger leurs lances
contre la ligne ennemie. Très peu de flèches volaient et il n’y en avait aucune
dans le chaos qui s’était formé devant l’endroit où la bannière du prince de
Galles flottait si haut. Les cavaliers attaquaient tout au long de la ligne,
frappant les rangs anglais avec des épées et des haches, mais de plus en plus
d’hommes déviaient vers la droite anglaise pour se joindre au combat qui
faisait rage. C’était là, se dit messire Guillaume, que la bataille serait
gagnée et les Anglais détruits. Ce serait un dur travail, bien sûr, et une
tâche sanglante d’enfoncer les troupes du prince, mais quand les Français
seraient passés derrière les lignes anglaises, celles-ci s’effondreraient comme
du bois pourri et aucun renfort venu du haut de la colline ne pourrait arrêter
la débandade. Il fallait donc combattre, se dit-il, combattre. Cependant il
éprouvait la crainte tenace de courir au désastre. Jamais il n’avait éprouvé
rien de semblable auparavant, mais il repoussa ce sentiment en se reprochant
d’être un lâche.
Un chevalier français démonté, la visière arrachée, du sang
s’égouttant d’une main qui tenait une épée brisée tandis que son autre main
s’agrippait aux restes d’un bouclier fendu en deux, descendit la pente en
titubant, tomba à genoux et se mit à vomir. Un cheval sans cavalier, les
étriers battant ses flancs, traversa en galopant, les yeux blancs, la ligne de
charge en traînant derrière lui sur l’herbe sa housse déchirée. Le sol était
parsemé des plumes blanches des flèches, ce qui lui donnait l’aspect d’un champ
de fleurs.
— Allez ! Allez ! Allez ! cria messire
Guillaume à ses hommes et à lui-même.
Jamais il ne dirait à quelqu’un d’aller sur un champ de
bataille, mais seulement de venir avec lui, de le suivre. Il regarda devant lui
à la recherche d’une cible pour sa lance. Il vit les trous et essaya de ne pas
prêter attention à la mêlée qui faisait rage à sa droite. Il projetait de
l’élargir en perçant la ligne anglaise à un endroit où elle était encore peu
engagée. Meurs en héros, se dit-il, porte cette lance en haut de la colline et
ne laisse jamais personne dire que messire Guillaume était un lâche.
À ce moment, il entendit une grande ovation sur sa droite et
regarda de ce côté-là, malgré les trous. Il vit la bannière du prince basculer
au milieu d’hommes qui se battaient. Les Français acclamaient et l’humeur
sombre de messire Guillaume disparut comme par magie car c’était une bannière
française qui avançait à l’endroit où avait flotté le drapeau du prince. C’est
alors que messire Guillaume aperçut la bannière. Il l’aperçut et la regarda
fixement. Il vit une éalé tenant un vase. Il pressa son cheval avec ses genoux
pour le faire pivoter et cria à ses hommes de la suivre.
— À la guerre ! cria-t-il.
Pour tuer. Il n’y avait plus en lui aucune faiblesse, plus
aucun doute. Car messire Guillaume avait retrouvé son ennemi.
Le roi vit les chevaliers français qui avaient une croix
blanche sur leurs écus enfoncer les lignes de son fils, puis il vit sa bannière
tomber. L’armure noire du prince n’apparaissait nulle part. Le visage du roi
n’exprima rien.
— Laissez-moi y aller ! demanda l’évêque de
Durham.
Le roi chassa un taon sur le cou de son cheval.
— Priez pour lui, ordonna-t-il à l’évêque.
— À quoi diable pourra bien servir une prière ?
demanda l’évêque.
Il leva sa terrible masse.
— Laissez-moi y aller, sire !
— J’ai besoin de vous ici, dit calmement le roi, et ce
garçon doit apprendre, comme je l’ai fait.
J’ai d’autres fils, se dit Edouard d’Angleterre, bien qu’ils
ne soient pas comme celui-là. Lui sera un grand roi, un jour, un roi guerrier,
un fléau pour nos ennemis. S’il survit. Et il doit apprendre à survivre dans le
désordre et l’horreur de la bataille.
— Vous allez rester ici, dit-il fermement à l’évêque.
Puis il fit venir un héraut.
— Ce blason, demanda-t-il en désignant la bannière
rouge avec l’éalé, à qui est-il ?
Le héraut regarda la bannière un
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