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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III
Autoren: Léon Tolstoï
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l’officier (c’était précisément la redoute de Schevardino). Nous y étions hier, mais « il » y est aujourd’hui.
    – Mais alors où donc est notre position ?
    – Notre position ? dit l’officier avec un sourire de complaisance. Je puis vous l’indiquer clairement, car c’est moi qui ai construit tous les retranchements… suivez-moi bien : notre centre est à Borodino, ici même, – il indiqua le village avec l’église blanche ; – là, le passage de la Kolotcha… Voyez-vous un pont dans cette petite prairie avec ses meules de foin éparpillées ?… Eh bien, c’est notre centre. Notre flanc droit ? le voici, – continua-t-il en indiquant par un geste le vallon à droite ; – là est la Moskva, et c’est là que nous avons élevé trois fortes redoutes. Quant à notre flanc gauche… ici l’officier s’embarrassa… c’est assez malaisé de vous l’expliquer : notre flanc gauche était hier à Schevardino, où vous apercevez ce grand chêne ; et maintenant nous avons reporté notre aile gauche là-bas, près de ce village brûlé et ici, – ajouta-t-il en montrant la colline de Raïevsky. – Seulement ; Dieu sait si on livrera bataille sur ce point. Quant à « lui », il a, il est vrai, amené ses troupes jusqu’ici, mais c’est une ruse : il tournera sûrement la Moskva sur la droite… Quoi qu’il arrive, il en manquera beaucoup demain à l’appel ! »
    Un vieux sergent qui venait de s’approcher attendait en silence la fin de la péroraison de son chef, et, mécontent de ces dernières paroles, il l’interrompit vivement :
    « Il faut aller chercher des gabions, » dit-il gravement.
    L’officier eut l’air confus, ayant compris sans doute que si l’on pouvait penser à ceux qui ne seraient plus là le lendemain, on ne devait pas du moins en parler :
    « Eh bien ! alors envoie la troisième compagnie, répondit-il vivement… À propos, qui êtes-vous, vous ? Êtes-vous un docteur ?
    – Moi, non, je suis venu par curiosité… »
    Et Pierre descendit la colline, et repassa devant les miliciens.
    « La voilà ! on l’apporte, on l’apporte !… la voilà, ils viennent ! » s’écrièrent plusieurs voix.
    Officiers, soldats et miliciens s’élancèrent sur la grand’route. Une procession sortait de Borodino et s’avançait sur la hauteur.
    « C’est notre sainte mère qui vient, notre protectrice, notre sainte mère Iverskaïa !
    – Non pas, c’est notre sainte mère de Smolensk, » reprit un autre.
    Les miliciens, les habitants du village, les terrassiers de la batterie, jetant là leurs bêches, coururent à la rencontre de la procession. En avant du cortège, sur la route poudreuse, l’infanterie marchait tête nue et tenant ses fusils la crosse en l’air : derrière elle on entendait les chants religieux. Puis venaient le clergé dans ses habits sacerdotaux, représenté par un vieux prêtre, les diacres, des sacristains et des chantres. Soldats et officiers portaient une grande image, à visage noirci, enchâssée dans l’argent : c’était la sainte image qu’on avait emportée de Smolensk, et qui, depuis lors, suivait l’armée. À gauche, à droite, en avant, en arrière, marchait, courait, et s’inclinait jusqu’à terre la foule des militaires. La procession atteignit enfin le plateau de la colline. Les porteurs de l’image se relayèrent : les sacristains agitèrent leurs encensoirs, et le Te Deum commença. Les rayons du soleil dardaient d’aplomb, une fraîche et légère brise se jouait dans les cheveux de toutes ces têtes découvertes et dans les rubans qui ornaient l’image, et les chants s’élevaient vers le ciel avec un sourd murmure. Dans un espace laissé libre derrière le prêtre et les diacres, se tenaient en avant des autres les officiers supérieurs. Un général chauve, la croix de Saint-Georges au cou, immobile et raide, touchait presque le prêtre : c’était évidemment un Allemand, car il ne faisait pas le signe de la croix, et semblait attendre patiemment la fin des prières, qu’il trouvait indispensables pour ranimer l’élan patriotique du peuple ; un autre général, à la tournure martiale, se signait sans relâche en regardant autour de lui. Pierre avait aperçu quelques figures de connaissance, mais il n’y prenait pas garde : toute son attention était attirée par l’expression recueillie répandue sur les traits des soldats et des miliciens, qui contemplaient l’image
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