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Des souris et des hommes

Des souris et des hommes

Titel: Des souris et des hommes
Autoren: John Steinbeck
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autres.
    — J’voulais rien que lui toucher sa
robe à cette fille... j’voulais rien que la caresser comme si c'était une
souris... Comment foutre voulais-tu qu'elle sache que tu voulais rien que lui
toucher sa robe ? Elle fait un bond en arrière, et tu te cramponnes à elle
comme si c'était une souris. Elle gueule, et puis il faut que nous restions
cachés toute la journée dans un fossé d'irrigation avec un tas de types à nos
trousses. Et puis après, il a fallu se faufiler dans le noir et quitter le
pays. Et tout le temps quelque chose comme ça... tout le temps. Si seulement j’pouvais
te foutre dans une cage avec un million de souris et te laisser t'amuser à ton
aise.
    Sa colère tomba brusquement. Par-dessus le
feu, il regarda la figure angoissée de Lennie, puis, honteux, il baissa les
yeux vers les flammes.
    Il faisait assez noir maintenant, mais le
feu éclairait les troncs des arbres et les branches qui formaient voûte
au-dessus d'eux. Lennie rampa lentement et prudemment autour du feu jusqu'à ce qu'il
fût tout près de George. Il s'accroupit sur ses talons. George tourna les
boîtes de conserve afin de présenter l'autre côté au feu. Il affectait de ne
pas s'apercevoir que Lennie était si près de lui.
    — George ! très doucement.
    Pas de réponse.
    — George !
    — Qu'est-ce que tu veux ?
    — C'était pour rire, George. J'en veux
pas de coulis de tomates. J’mangerais pas d'coulis de tomates même si j'en
avais ici, à côté de moi.
    — Si y en avait ici, tu pourrais en
avoir.
    — Mais j'en mangerais pas, George. Je
le laisserais tout pour toi. Tu pourrais en couvrir tous tes haricots. Moi, j'y
toucherais point.
    Toujours maussade, George regardait le
feu.
    — Quand je pense ce que je pourrais
rigoler si j’t'avais pas avec moi, ça me rend fou. J'ai pas une minute de paix.
    Lennie était toujours accroupi. Il
regardait dans les ténèbres, par-delà la rivière.
    — George, tu veux que je m'en aille
et que je te laisse seul ?
    — Où donc que tu pourrais
aller ?
    — Oh ! j’pourrais. J’pourrais
m'en aller dans les collines, là-bas. J’trouverais bien une caverne quelque
part.
    — Oui ? Et comment qu' tu
mangerais ? T’es même pas assez malin pour te trouver à manger.
    — J’trouverais des choses, George.
J'ai pas besoin d' choses fines avec du coulis de tomates. Je m' coucherais
au soleil et personne ne m' ferait de mal. Et si j’trouvais une souris, j’pourrais
la garder. Personne ne viendrait me la prendre.
    George lui lança un regard rapide et
curieux.
    — J'ai été méchant, c'est ça ?
    — Si tu n' veux plus de moi, je
peux m'en aller dans les collines me chercher une caverne. J’peux m'en aller
n'importe quand.
    — Non... écoute ! C'était de la
blague, Lennie. Parce que j’veux que tu restes avec moi. L'embêtant, avec les
souris, c'est que tu les tues toujours.
    Il s'arrêta.
    — J’vais te dire ce que je ferai, Lennie.
À la première occasion, j’te donnerai un p' tit chien. Ça, tu le tueras
peut-être pas. Ça vaudra mieux que les souris. Et tu pourras le caresser plus
fort.
    Lennie évita l'hameçon. Il avait senti
qu'il avait l'avantage.
    — Si tu m' veux plus, t’as qu'à
le dire, et j’m'en irai dans les collines, là-bas... tout là-haut dans ces
collines, et j’vivrai seul. Et on m’ volera plus mes souris.
    George dit :
    — J’veux que tu restes avec moi,
Lennie. Nom de Dieu, on te prendrait pour un coyote et on te tuerait si t'étais
seul. Non, faut rester avec moi. Ta tante Clara aimerait pas te savoir à courir
tout seul comme ça, quand même qu'elle est morte.
    Lennie dit avec astuce :
    — Raconte-moi... comme t’as fait
d'autres fois.
    — Te raconter quoi ?
    — Les lapins.
    George trancha.
    — Faut pas essayer de me faire
marcher.
    Lennie supplia :
    — Allons, George, raconte-moi. Je
t'en prie, George. Comme t’as fait d'autres fois.
    — Ça te plaît donc bien ? C'est
bon, j’vais te raconter, et puis après, on dînera.
    La voix de George se fit plus grave. Il
répétait ses mots sur un certain rythme, comme s'il avait déjà dit cela
plusieurs fois.
    — Les types comme nous, qui
travaillent dans les ranches, y a pas plus seul au monde. Ils ont pas de famille.
Ils ont pas de chez-soi. Ils vont dans un ranch, ils y font un peu d'argent, et
puis ils vont en ville et ils le dépensent tout... et pas plus tôt fini, les
v' là à s'échiner dans un autre ranch.
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