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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli
Autoren: Anne Tremblay
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qu’elle avait oublié le ketchup aux fruits pour
     accompagner les petits pâtés à la viande, elle retourna à l’intérieur du chalet.
     Hélène terminait de hacher la laitue tout en discutant en langage des signes
     avec Léo. Par la fenêtre de la porte arrière, elle aperçut Chapeau, l’Amérindien
     à la langue coupée. À son habitude, il se tenait à la lisière de la forêt, assis
     sur une vieille souche à espérer qu’Hélène lui accorde quelques minutes de son
     temps. Chapeau habitait Pointe-Bleue, la réserve amérindienne située non loin du
     chalet. Chaque nouvel été signifiait sa venue. Isabelle aimait bien l’Indien.
     Elle s’était habituée à ses visites. Jamais il n’était entré dans le chalet.
     Souriant, il gardait ses distances et se contentait de les saluer d’un signe de
     tête.Isabelle sentait sa bonté et sa bienveillance. Julianna lui
     avait raconté comment son fils Pierre avait connu l’Indien pendant la guerre.
     Pierre avait tout de suite pris en affection ce jeune muet. Surnommé Chapeau, à
     cause du couvre-chef qu’il arborait fièrement, l’Amérindien avait tissé un lien
     aussi mystérieux que solide avec Pierre et ses proches. Depuis que le couple
     avait fait l’acquisition du chalet, l’Amérindien avait agrandi son cercle de
     protection à la famille d’Isabelle. Il portait toujours un drôle de chapeau,
     mais n’avait plus rien de l’adolescent maigrichon de leur première rencontre et
     dont, elle devait l’avouer, elle avait craint la présence. Chapeau était devenu
     un bel homme, un vrai dieu des bois... Hélène lui avait appris à communiquer par
     signes et, parfois, avec Léo qui venait souvent faire un tour, le trio offrait
     tout un spectacle ! C’était fascinant d’assister à ce ballet de mains. Isabelle
     essaya de saisir le sujet de la conversation d’Hélène et de Léo. À part le fait
     que le tout semblait bien amusant, elle ne pigea rien à rien. Le cousin et la
     cousine s’entendaient à merveille. Par la fenêtre de la cuisine, Chapeau couvait
     des yeux la jeune fille. Ce pauvre Amérindien aurait le cœur brisé le jour où
     Hélène se déciderait à épouser un bon garçon. Si jamais elle laissait un homme
     s’intéresser à elle. Avec un sentiment d’horreur, Isabelle pensa à l’agression
     dont Hélène avait été victime. Quelle abomination... le cauchemar de toute
     femme. Il fallait espérer qu’Hélène finisse par oublier et par refaire confiance
     à la vie. Depuis quelques jours, la jeune fille souriait plus souvent. L’été lui
     allait si bien. Avec ses longs cheveux noirs, on aurait facilement pu la prendre
     pour la sœur de Chapeau. Isabelle transvida le ketchup dans son plus joli bol, y
     déposa une cuillère de service et retourna à l’extérieur. Avant qu’elle n’ait pu
     dire un mot, la porte-moustiquaire s’ouvrit à toute volée et elle
     renversa tout le contenu de son plat sur elle. Le bol lui glissa des mains et
     alla se briser sur le sol. Contrit, Zoel, le fautif de cette bévue, hésita entre
     rire devant Isabelle, souillée de tomates, ou se sauver à toutes jambes.
     Adélard, qui suivait son frère de peu, observait la scène en souriant.
    Zoel se décida à utiliser l’arme du charme. D’un air désolé, il dit :
    — Je m’excuse... Maman m’a envoyé chercher Léo pour pas qu’il soit dans vos
     jambes...
    Isabelle regarda les deux derniers de la famille Rousseau.
    — Ah, mes snoreaux... Henry aurait mieux fait de vous laisser à
     Saint-Hyacinthe !
    À l’aide d’un torchon, Hélène s’empressa de nettoyer le plancher.
    — Efficace, la cousine, dit Zoel.
    Hélène émit un petit cri. Elle venait de se couper sur un débris de verre. Zoel
     prit la main d’Hélène dans la sienne afin d’examiner la blessure. La jeune femme
     recula brusquement. Étonné de cette réaction bien trop véhémente, Zoel, qui,
     comme ses frères, ignorait tout du viol d’Hélène, se mit à la taquiner.
    — Efficace, mais farouche. Tu me rappelles une petite pouliche malade que j’ai
     traitée sur une ferme.
    — Laisse-moi tranquille, lui dit-elle sèchement.
    — Je voulais juste te sauver la vie... Si tu préfères mourir au bout de ton
     sang…
    Isabelle s’interposa et entoura le doigt blessé d’un mouchoir.
    — Vraiment, Zoel, je plains les pauvres animaux qui vont t’avoir comme
     vétérinaire. Pis si tu t’en souviens pas, j’étais
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