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Voyage au Congo

Titel: Voyage au Congo
Autoren: André Gide
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CHAPITRE PREMIER – Les escales – Brazzaville
    21 juillet. – Troisième jour de traversée.
     
    Indicible langueur. Heures sans contenu ni contour.
    Après deux mauvais jours, le ciel bleuit ; la mer se calme ; l’air tiédit. Un vol d’hirondelles suit le navire.
    On ne bercera jamais assez les enfants, du temps de leur prime jeunesse. Et même je serais d’avis qu’on usât, pour les calmer, les endormir, d’appareils profondément bousculatoires. Pour moi, qui fus élevé selon des méthodes rationnelles, je ne connus jamais, de par ordre de ma mère, que des lits fixes ; grâce à quoi je suis aujourd’hui particulièrement sujet au mal de mer.
    Pourtant je tiens bon ; je tâche d’apprivoiser le vertige, et constate que, ma foi, je tiens mieux que nombre de passagers. Le souvenir de mes six dernières traversées (Maroc, Corse, Tunisie) me rassure.
    Compagnons de traversée : administrateurs et commerçants. Je crois bien que nous sommes les seuls à voyager « pour le plaisir ».
    – Qu’est-ce que vous allez chercher là-bas ?
    – J’attends d’être là-bas pour le savoir.
    Je me suis précipité dans ce voyage comme Curtius dans le gouffre. Il ne me semble déjà plus que précisément je l’aie voulu (encore que depuis des mois ma volonté se soit tendue vers lui) ; mais plutôt qu’il s’est imposé à moi par une sorte de fatalité inéluctable – comme tous les événements importants de ma vie. Et j’en viens à presque oublier que ce n’est là qu’un « projet de jeunesse réalisé dans l’âge mûr » ; ce voyage au Congo, je n’avais pas vingt ans que déjà je me promettais de le faire ; il y a trente-six ans de cela.
    Je reprends, avec délices, depuis la fable I, toutes les fables de La Fontaine. Je ne vois pas trop de quelle qualité l’on pourrait dire qu’il ne fasse preuve. Celui qui sait bien voir peut y trouver trace de tout ; mais il faut un œil averti, tant la touche, souvent, est légère. C’est un miracle de culture. Sage comme Montaigne ; sensible comme Mozart.
     
    Hier, inondation de ma cabine, au petit matin, lors du lavage du pont. Un flot d’eau sale où nage piteusement le joli petit Gœthe letherbound, que m’avait donné le Comte Kessler (où je relis les Affinités).
    25 juillet.
     
    Ciel uniformément gris ; d’une douceur étrange. Cette lente et constante descente vers le sud doit nous amener à Dakar ce soir.
    Hier des poissons volants. Aujourd’hui des troupeaux de dauphins. Le commandant les tire de la passerelle. L’un d’eux montre son ventre blanc d’où sort un flot de sang.
    En vue de la côte africaine. Ce matin une hirondelle de mer contre la lisse. J’admire ses petites pattes palmées et son bec bizarre. Elle ne se débat pas lorsque je la prends. Je la garde quelques instants dans ma main ouverte ; puis elle prend son vol et se perd de l’autre côté du navire.
    26 juillet.
     
    Dakar la nuit. Rues droites désertes. Morne ville endormie. On ne peut imaginer rien de moins exotique, de plus laid. Un peu d’animation devant les hôtels. Terrasses des cafés violemment éclairées. Vulgarité des rires. Nous suivons une longue avenue, qui bientôt quitte la ville française. Joie de se trouver parmi des nègres. Dans une rue transversale, un petit cinéma en plein air, où nous entrons. Derrière l’écran, des enfants noirs sont couchés à terre, au pied d’un arbre gigantesque, un fromager sans doute. Nous nous asseyons au premier rang des secondes. Derrière moi un grand nègre lit à haute voix le texte de l’écran. Nous ressortons. Et longtemps nous errons encore ; si fatigués bientôt que nous ne songeons plus qu’à dormir. Mais à l’hôtel de la Métropole, où nous avons pris une chambre, le vacarme d’une fête de nuit, sous notre fenêtre, empêche longtemps le sommeil.
    Dès six heures, nous regagnons l’ Asie , pour prendre un appareil de photo. Une voiture nous conduit au marché. Chevaux squelettiques, aux flancs rabotés et sanglants, dont on a badigeonné les plaies au bleu de Prusse. Nous quittons ce triste équipage pour une auto, qui nous mène à six kilomètres de la ville, traversant des terrains vagues que hantent des hordes de charognards. Certains perchent sur le toit des maisons, semblables à d’énormes pigeons pelés.
    Jardin d’Essai. Arbres inconnus. Buissons d’hibiscus en fleurs. On s’enfonce dans d’étroites allées pour prendre un avant-goût de la
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