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Sarah

Sarah

Titel: Sarah
Autoren: Halter,Marek
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Prologue
    Cette nuit, par deux fois, ma poitrine a
cessé de s’emplir d’air. Par deux fois elle est demeurée vide, aussi racornie
qu’une outre au cuir desséché. Ma bouche grande ouverte sur le vent de l’aube
était incapable de le boire. En tremblant, mes mains se sont dressées contre
l’obscurité. La douleur a couru le long de mes os, gourmande comme une vermine.
    Et puis cela a cessé. Par deux fois l’air
est revenu sur mes lèvres. Il s’est posé sur ma langue, aussi frais et doux que
du lait.
    C’est un signe, et je sais le reconnaître.
Après tant et tant d’années et d’épreuves, Yhwh, le dieu invisible, va séparer
Sarah d’Abraham. La nuit prochaine, ou celle qui lui succédera. Très bientôt,
Il me retirera la vie.
    C’est ainsi que vont les choses. C’est
ainsi qu’elles doivent advenir. Il n’est pas besoin de protester ni de s’emplir
de crainte. Yhwh tracera ma route depuis cette terre qui porte encore mes pas.
Des pas de vieille femme, si légers que l’herbe désormais plie à peine sous mon
poids.
    C’est ainsi et c’est bien. La prochaine
fois que l’air se refusera à ma bouche, j’aurai moins peur.
    Tout à l’heure, alors que l’aube répandait
sa tendresse pâle sur les prairies et les falaises poussiéreuses qui entourent
Hébron, j’ai quitté la tente des mères. Je ne suis pas allée attendre Abraham
devant la sienne avec du pain et des fruits ainsi que je l’ai fait des milliers
de fois depuis qu’il est devenu mon époux. Je suis venue ici, sur la colline de
Qiryat-Arba, et me suis assise sur une pierre à l’entrée de la grotte de
Makhpéla. Il m’a fallu du temps pour grimper le sentier. Mais peu m’importe
l’effort ! Si Yhwh décide de me couper le souffle en plein jour, je veux
que mon corps s’affaisse ici, en ce jardin, devant cette grotte.
    Cet endroit m’emplit de paix et de joie.
Une falaise blanche entoure l’entrée comme un mur finement maçonné. À l’ombre
d’un immense peuplier, une source s’écoule dans un vaste jardin en demi-cercle.
Sa pente douce comme une paume s’offrant à ceux qu’elle accueille descend vers
la plaine, ponctuée de longs murets dressés par les bergers, plantée d’arbres
aux troncs épais, parfumée par les buissons de sauge et de romarin.
    D’ici, je vois nos tentes serrées autour de
la tente noir et blanc d’Abraham. Elles sont si nombreuses que je ne saurais
les compter. Des centaines sans doute. Aussi loin que mon regard porte sur la
prairie, je vois scintiller la laine des troupeaux sur l’herbe plus verte que
l’eau d’une mare. C’est la fin du printemps. Les pluies ont été clémentes et
sont venues quand il le fallait. Je vois aussi les fumées qui s’élèvent bien
droites au-dessus des feux, signe que le vent de l’est, chargé de sable et de
sécheresse, nous épargnera aujourd’hui encore. J’entends les trompes, les
chiens qui aboient en rassemblant les troupeaux. De temps à autre des cris
d’enfants montent jusqu’à moi en vibrant. Mon ouïe n’a pas faibli plus que mes
yeux. Il est encore de bonnes choses dans le corps de Sarah !
    La jeunesse ne connaît pas le temps, la
vieillesse ne connaît que cela. Jeune, on joue à cache-cache avec l’ombre.
Vieux, on cherche la chaleur du soleil. Or l’ombre est immuable et le soleil
éphémère. Il s’élève, traverse le ciel et disparaît. Ensuite on attend avec
impatience son retour. Aujourd’hui j’aime le temps avec autant d’amour que
j’aime mon fils tant espéré, Isaac.
    Longtemps, pour moi, le cycle des saisons a
tourné sur lui-même sans laisser de trace. Un jour suivait un autre, mon corps
n’en portait pas la marque. Cela a duré des années et des années. Je ne
m’appelais pas encore Sarah, mais Saraï. On disait de moi que j’étais la plus
belle des femmes. D’une beauté qui faisait peur autant qu’elle attirait. Une
beauté qui a séduit Abram dès son premier regard sur moi. Une beauté qui ne se
fanait pas, troublante et maudite comme une fleur qui jamais n’engendrerait de
fruit. Il n’y avait pas un jour où je n’exécrais cette beauté qui ne me
quittait plus.
    Jusqu’à ce que Yhwh, enfin, efface le geste
terrible qui fut la cause de tout. Une faute commise dans l’innocence de
l’enfance, pour l’amour de celui qui s’appelait alors Abram. Une faute, ou une
parole que je n’ai pas su entendre dans l’ignorance où nous étions.
    Le soleil est haut, maintenant. À
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