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Prophétie

Prophétie

Titel: Prophétie
Autoren: Christopher John Sansom , Georges-Michel Sarotte
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Roger avait discuté un peu plus tôt, et James Ryprose, un vieil avocat dont les favoris hirsutes encadraient un visage ridé comme une vieille pomme. En face de nous se trouvaient Dorothy, Roger et Mme Loder, qui était aussi bien en chair et satisfaite d’elle que son mari. Elle me sourit, révélant une denture parfaite et d’une blancheur immaculée. Soudain, à ma grande surprise, elle porta ses mains à sa bouche et en retira les deux rangées de dents. Je découvris alors que celles-ci étaient fixées sur deux râteliers de bois, découpés pour que s’y encastrent les rares chicots grisâtres qui lui restaient.
    « Elles sont belles, pas vrai ? fit-elle quand elle aperçut mon regard étonné. Un barbier-chirurgien de Cheapside me les a fabriquées. Naturellement je ne peux pas m’en servir pour manger.
    — Range-les, Johanna, dit son mari. Nos commensaux n’ont aucune envie de les contempler durant le repas ! » Elle prit un air boudeur, dans la mesure où peut faire la moue une brèche-dent, et les déposa dans un petit coffret qu’elle enfouit dans les plis de sa robe. Je réprimai un frisson, trouvant macabre la mode française de porter des dents arrachées à des cadavres, mode qui depuis quelques années avait gagné l’Angleterre et s’était répandue parmi certains membres de la haute société.
    Roger évoqua une fois de plus son projet de construction d’un hospice, présentant cette fois ses arguments au vieux Ryprose. « Pensez aux malades sans feu ni lieu que nous pourrions sortir de la rue et peut-être même guérir.
    — Ah oui ! ce serait une belle œuvre, acquiesça le vieil homme. Mais que comptez-vous faire de tous les gueux robustes et en pleine forme qui infestent les rues, vous réclament de l’argent, allant à l’occasion jusqu’à vous menacer ? Je suis un vieil homme et j’ai parfois peur de marcher tout seul dans la rue.
    — Vous avez tout à fait raison, renchérit le confrère Loder en se penchant devant moi pour donner son avis. Les deux hommes qui ont volé et tué notre infortuné confrère Goodcole près du portail, au mois de novembre, étaient d’anciens larbins de monastère sans maître. Et on ne les aurait jamais attrapés s’ils ne s’étaient pas vantés haut et fort de leur méfait dans les tavernes, où ils dépensaient l’argent du malheureux Goodcole. L’honnête tavernier avait prévenu le sergent.
    — Oui, oui, acquiesça Ryprose en hochant vigoureusement la tête. Rien d’étonnant à ce que des serviteurs sans maître mendient et volent en toute impunité, alors que pour assurer notre sécurité la ville nedispose que d’une poignée de sergents du guet, la plupart aussi vieux que moi.
    — Le conseil municipal devrait engager quelques costauds pour les chasser de la ville à coups de fouet, déclara Loder.
    — Mais, Ambrose, lui dit sa femme d’une voix douce, pourquoi être si dur ? Quand tu étais jeune, tu affirmais qu’on devait fournir du travail aux indigents et que la ville devrait les employer, moyennant salaire, pour accomplir des tâches utiles comme le pavage des rues, par exemple. Tu citais toujours Érasme et Juan Luis Vives à propos des devoirs de la communauté chrétienne envers les malheureux. » Elle lui décocha un charmant sourire, se vengeant ainsi peut-être de ses sèches remarques sur sa denture.
    « C’est tout à fait vrai, Ambrose, déclara Roger. Je m’en souviens parfaitement.
    — Et moi aussi, renchérit Dorothy. Vous dissertiez farouchement sur les devoirs du roi envers les pauvres.
    — Eh bien, comme de ce côté-là on ne manifeste aucun intérêt, je ne vois pas ce que nous sommes censés faire… Faudrait-il accueillir dix mille mendiants galeux à Lincoln’s Inn et les inviter à la table d’honneur ? s’enquit-il en fixant sur sa femme un regard réprobateur.
    — Bien sûr que non, répondit Roger avec courtoisie. Il s’agit seulement d’utiliser notre richesse pour venir en aide à quelques-uns d’entre eux. En attendant des jours meilleurs, peut-être.
    — Les mendiants ne sont pas les seuls à transformer la moindre promenade en véritable épreuve, ajouta le vieux Ryprose d’un air sombre. Il y a ces évangélistes exaltés qui vocifèrent à tous les coins de rue. Il y en a un au bas de Newgate Street qui se tient là toute la sainte journée et annonce à tue-tête l’imminence de l’apocalypse. »
    D’un bout de la table à l’autre ces propos
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