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Prophétie

Prophétie

Titel: Prophétie
Autoren: Christopher John Sansom , Georges-Michel Sarotte
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il détourna vivement la tête. Bealknap était peut-être l’avocat le plus retors que j’aie jamais rencontré et je lui en voulais toujours d’avoir été contraint de renoncer, dix-huit mois plus tôt, à un dossier à cause des impitoyables manœuvres de Richard Rich, son protecteur. Ce jour-là, il avait l’air fatigué et malade.
    À quelques rangs de nous, mon ami Roger Elliard, chez qui j’étaisinvité à dîner après le spectacle, tenait la main de sa femme. Une nouvelle scène avait commencé. Concupiscence avait conclu un pacte d’association avec Malfaisance. Après avoir embrassé tous les autres tour à tour, le personnage incarnant le désir charnel fut soudain pris de douleurs et s’affala sur les genoux.
     
    Hélas ! quelle soudaine passion me terrasse !
    Grièvement blessé, je ne peux demeurer sur pied,
    Je suis saisi de crampes, de violentes crampes,
    Aucun remède n’empêchera que je trépasse.
     
    Le comédien frappé par le jugement divin tendit une main tremblante vers l’auditoire. Bealknap le regarda d’un air à la fois perplexe et méprisant. Quant à Roger, il détourna brusquement les yeux. Je savais pourquoi. J’allais lui parler tout à l’heure.
    La pièce se termina enfin. Les comédiens saluèrent, les spectateurs applaudirent, et nous pûmes dégourdir nos membres frigorifiés puis gagner Gatehouse Court – la cour du Pavillon d’entrée. Le soleil se couchait tout juste, éclairant d’une lumière ocre les bâtiments de brique et la neige fondue de la cour. Les spectateurs se dirigeaient vers le portail ou, s’ils habitaient à Lincoln’s Inn, reprenaient le chemin de leur logis, emmitouflés dans leur manteau. J’attendis les Elliard sur le pas de la porte, saluant des connaissances. Seuls les spectateurs de la pièce se trouvaient dehors, car c’était un samedi de vacances juridiques, la veille du dimanche des Rameaux. Tournant le regard vers l’appartement des Elliard, je vis que toutes les fenêtres étaient éclairées et qu’à l’intérieur les serviteurs s’activaient, des plateaux entre les mains. Les dîners de Dorothy étaient célèbres à Lincoln’s Inn, et bien qu’on fût à la fin du carême et que la consommation de viande rouge fût toujours interdite, je savais qu’elle offrirait un repas copieux et que le groupe d’invités ferait bonne chère.
    Malgré le froid, je me sentais détendu, plus calme que je ne l’avais été depuis fort longtemps. Dans à peine plus d’une semaine, ce serait le 25 mars, le dimanche de Pâques, le début officiel de l’année 1543. Si ces dernières années, à cette époque, je m’étais parfois demandé quels sinistres événements allait apporter le nouvel an, ce soir-là je me dis que je n’avais que l’agréable perspective d’effectuer un travail intéressant et de passer de bons moments en compagnie d’excellents amis. Le matin, lorsque j’avais interrompu ma toilette pour me regarder dans le miroir d’acier de ma chambre – ce que je faisais rarement, car la vue de mon dos bossu m’attristait toujours –, j’avais aperçu des mèches grises dans mes cheveux et des rides de plus en plus profondes sur mon visage. Peut-être, me rassurai-je, cela me donnait-il une touche dedistinction, et, ayant passé, l’année d’avant, le cap de la quarantaine, je ne pouvais guère m’attendre à avoir l’air d’un jeunot.
    Cet après-midi-là, avant le spectacle, ayant appris que la glace fondait enfin après le long et rude hiver, j’étais descendu vers les berges de la Tamise. Parvenu au débarcadère de Temple Stairs – « les marches du Temple » –, j’avais contemplé le fleuve. En effet, d’énormes blocs de glace s’entrechoquaient bruyamment, au milieu d’un flot tourbillonnant d’eaux grisâtres. Je rebroussai chemin, pataugeant dans la neige fondue, espérant que le printemps était enfin arrivé.
    Immobile sur le seuil de la grande salle, je frissonnai soudain malgré mon épais manteau doublé de fourrure, car si le temps s’était nettement réchauffé il faisait encore froid, et je n’avais jamais regagné les livres perdues durant la mauvaise fièvre dont j’avais souffert dix-huit mois plus tôt. Une claque sur les épaules me fit sursauter. C’était Roger, son corps svelte emmitouflé dans un gros manteau. À côté de lui, sa femme Dorothy, ses joues rebondies rougies par le froid, me souriait.
    « Tu rêvassais, Matthew, me dit Roger. Tu
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