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Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux
Autoren: Jean Rouaud
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toujours
ouverte autour de laquelle se retrouvaient des amis surprenants pour un
tailleur (des musiciens, le théologien censeur, un dominicain, un authentique
étudiant chinois), mais emportée, brusque – comment, par exemple,
elle se transperça la main en enfilant précipitamment une facture sur une pique
de bureau –, peu câline, pas le genre à bercer un bébé dans ses bras,
fredonner une chanson douce ou mitonner des petits plats – voir
l’épisode de la chèvre de grand-père avec laquelle avaient joué ses enfants,
lesquels, après s’être inquiétés de sa disparition et la reconnaissant dans les
morceaux découpés et rôtis du menu du jour, refusèrent en hoquetant d’y toucher,
prétextant, et grand-père lui-même, qu’ils n’avaient pas faim, sur quoi
grand-mère empoignant le plat, allez ouste, à la poubelle –, et puis
aussi, elle avait un handicap qui jouait contre elle, conséquence d’une
déchirure provoquée par un accouchement difficile – peut-être notre
maman bébé –, mais cette odeur des très vieux dans laquelle l’urine entre
en bonne part, elle l’avait contractée assez jeune, ce qui indisposait ses
enfants, peu enclins évidemment à se fourrer dans ses jupes, et c’est dans les
jupes de Madeleine Paillusseau que se blottissait notre maman.
    Madeleine Paillusseau, son nom toujours en entier, jamais
son prénom seul, ou un diminutif qui l’eût immédiatement désignée, Mado, par
exemple, qu’elle avait dû pourtant entendre petite ou dans la bouche d’un
amoureux, mais non, son souvenir était passé en bloc, elle était Madeleine
Paillusseau pour tous ceux qui l’avaient approchée. Et quand ils en parlaient,
c’était comme s’ils évoquaient une incarnation de la douceur, de la
bonté : Madeleine Paillusseau, comme une héroïne de roman naturaliste. Ce
qu’elle était, au fond, c’est-à-dire la Félicité au cœur simple, qui entoure
d’une affection sans limite les enfants d’une autre, de celle au service de
laquelle elle voue sa vie, mieux qu’une mère, laquelle est toujours en mesure
de reprocher un jour à sa progéniture son ingratitude, ou du moins un manque de
reconnaissance, avec tout ce que j’ai fait pour vous, et même si ce n’est pas
formulé ça reste toujours en suspens, au lieu qu’elle, la servante dévouée, elle
se contentera d’être invitée au mariage de l’un de ses protégés, de recevoir au
passage de l’année une petite carte de vœux, et bientôt plus de cartes du tout,
car Madeleine Paillusseau, le visage de maman avait beau s’éclairer quand elle
l’évoquait, elle a mis des années et des années avant de nous la présenter.
Mais ce jour-là, toujours la même, prétendit-elle, inchangée, juste un peu
rétrécie, mais maman n’en ayant pas profité pour grandir, s’étant même un peu
tassée sous le poids du chagrin, le rapport de tailles était resté identique,
et de toute manière, pour l’une et l’autre sous la toise, cela se jouait à
quelques centimètres autour du mètre cinquante.
    En fait, Madeleine Paillusseau avait quitté le service de la
famille Brégeau pour se marier sur le tard avec un bon garçon qui ne la
rendrait pas malheureuse, ce qui veut dire qu’il ne buvait pas, ne la battrait
pas, et serait ravi d’avoir une femme à demeure pour lui faire la cuisine et
repasser son linge. Et, pour ce qui est de la cuisine, nous pouvons affirmer
qu’il dut se régaler, cet homme, car nous mangions la même chose. Ses talents
de cuisinière, son tour de main, ce raffinement dans la présentation et la
composition des plats, maman les tenait de Madeleine Paillusseau qui lui avait
transmis son savoir-faire tandis que, petite, elle la suivait pas à pas dans la
grande maison de Riaillé. L’art des sauces, l’emploi immodéré du beurre et de
la crème, les rôtis dans le four patiemment arrosés avec le jus de cuisson, ce
fut peut-être un peu trop lourd pour celui qui s’était contenté, sa vie de
célibataire durant, de grignoter sur le coin d’une table. Cette surcharge finit
par avoir raison de lui, de sorte que ce sont deux veuves qui se tombèrent dans
les bras à l’enterrement de grand-père, à l’heure des condoléances.
    Madeleine, oh Madeleine, sanglotait maman, en étreignant son
amour de jeunesse, et pour une fois parfaitement juste dans son émotion, quand
d’ordinaire elle avait plutôt tendance à forcer le trait, ce qui nous agaçait,
même si nous ne
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