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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud
Autoren: Elizabeth Gaskell
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Newton dépliait (non sans bougonner) les châles qu’on avait déjà montrés
quatre ou cinq fois dans la journée, Margaret examina la pièce, la première qui
lui fût devenue familière neuf ans plus tôt, lorsqu’on l’avait amenée de sa forêt,
encore mal dégrossie, pour partager la maison, les jeux et les leçons de sa cousine
Edith. Elle se rappelait l’impression d’obscurité et de tristesse que lui avait
donnée cette chambre d’enfants londonienne sur laquelle régnait une bonne austère
et cérémonieuse, qui ne supportait ni les mains mal lavées ni les robes déchirées.
Elle se remémorait le premier thé qu’elle avait pris là, tout en haut de la maison,
sans son père ni sa tante, qui dînaient quelque part au bas d’une quantité impressionnante
d’escaliers ; car à moins qu’elle ne se trouvât dans le ciel, pensait l’enfant,
ils devaient être, eux, au plus profond des entrailles de la terre. Chez eux, avant
qu’elle ne vînt habiter Harley Street, le salon de sa mère lui tenait lieu de salle
de jeux ; et comme on se couchait tôt au presbytère, Margaret prenait toujours
ses repas avec ses parents. Oh, qu’elle se souvenait bien, la grande et fière jeune
fille de dix-huit ans, des larmes répandues dans un violent accès de chagrin par
la petite fille de neuf ans qui se cachait le visage sous les draps pendant cette
première nuit. De la bonne d’enfants, qui lui avait défendu de pleurer, de peur
que cela ne dérange Miss Edith ; et des larmes amères mais plus discrètes
qu’elle avait versées avant que sa jolie tante, cette dame élégante qu’elle venait
de rencontrer, ne monte sans bruit les escaliers avec Mr Hale pour lui montrer
sa fille endormie. Alors, la petite Margaret avait étouffé ses sanglots et s’était
tenue immobile, faisant semblant de dormir afin de ne pas affliger son père par
le chagrin qu’elle retenait devant sa tante et dont elle se sentait coupable. Après
les longues semaines d’espoirs, de projets et de préparatifs qu’ils avaient vécues
au presbytère, en attendant qu’on lui compose une garde-robe adaptée à une existence
plus élégante, et en attendant aussi que son père puisse quitter sa paroisse pour
se rendre à Londres, ne fût-ce que quelques jours.
    Maintenant, elle l’aimait, cette vieille chambre d’enfants, si
délabrée fût-elle ; et elle promena son regard sur toute la pièce, avec une
sorte de regret furtif à l’idée d’en prendre à jamais congé trois jours plus tard.
    — Ah, Newton, s’exclama-t-elle, je crois que nous serons
tous bien triste de la quitter, cette bonne vieille chambre.
    — Oh, eh bien, Miss, pas moi en tout cas. Ma vue n’est plus
ce qu’elle était, et l’éclairage est si mauvais ici que je n’arrive pas à raccommoder
les dentelles, sauf devant la fenêtre, et là, il y a toujours un de ces courants
d’air... de quoi attraper la mort.
    — Ma foi, soyez tranquille, à Naples, vous aurez toute la
lumière et la chaleur que vous voudrez. Mettez le plus de raccommodage possible
de côté pour là-bas. Merci, Newton, je les descendrai, vous avez du travail.
    Margaret descendit donc chargée de châles, respirant leur senteur
orientale épicée. Edith dormait toujours, aussi sa tante demanda-t-elle à Margaret
de servir de mannequin pour les présenter. Personne ne s’en avisa, mais avec sa
taille élancée et bien prise et la robe de soie noire qu’elle portait en signe de
deuil pour un parent éloigné de son père, elle mettait en valeur à merveille les
longs plis gracieux des superbes châles sous lesquels Edith eût à moitié disparu.
Margaret se tenait juste au-dessous du lustre, silencieuse et passive tandis que
sa tante ajustait les draperies. A l’occasion, pendant qu’on la faisait tourner,
elle apercevait son reflet dans le miroir au-dessus de la cheminée et souriait d’y
reconnaître ses traits familiers dans les atours ordinaires d’une princesse. Elle
caressa les châles qui tombaient autour d’elle en cascade, prenant plaisir à la
douceur de leur contact, à leurs couleurs chatoyantes, et se réjouissant comme une
enfant, un tranquille sourire de satisfaction aux lèvres, d’être vêtue d’étoffes
aussi splendides.
    Ce fut alors que la porte s’ouvrit et qu’on annonça soudain
Mr Henry Lennox. Certaines des dames eurent un petit sursaut, et parurent un
peu honteuses de l’intérêt bien féminin qu’elles manifestaient pour la
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