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Naissance de notre force

Naissance de notre force

Titel: Naissance de notre force
Autoren: Victor Serge
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espacé
de minute en minute, d’un phare…) des jeunes femmes parfumées, charmantes, qui
ne savaient rien de nos vrais visages, qui n’eussent compris aucune de nos
paroles. Poupées bourgeoises, blonde Mercédès, brune Conception, petites mains
gracieuses faites pour les pianos, petites âmes faites pour les bavardages, petits
corps, plus tard lascifs, faits pour l’oisiveté des villas. Ces êtres gracieux
d’une autre espèce humaine, étrangement bornée, captive de l’argent, comme tant
des nôtres étaient captifs de la débine, nous divertissaient ainsi que des
personnages de ballet ; nous prévoyions leurs répliques, leurs gestes, leurs
mouvements intérieurs même, ainsi que les figures prochaines de la danse… Mais
elles se laissaient prendre la main et parfois la taille ; mais elles
avaient, ces poupées délicieuses, la souplesse de l’animal humain dans sa prime
jeunesse, et des seins durs gainés de soie blanche. Seuls, nous reprîmes nos
vrais visages ; nos vraies pensées nous reprirent.
    Lejeune s’arrêta à un coin de rue. – Des autos luisantes
glissaient sur l’asphalte, laissant derrière elles, dans nos yeux, une trace
phosphorescente.
    – Je vise les banques, dit-il. Y aura bien quelques
jours de pagaye, tu comprends. Je vise les banques ! J’aurai vite fait ma
révolution, moi. Je ne crois pas à la leur. Les monarchies, les républiques, les
syndicats, je m’en moque, comprends-tu ? Me faire tuer pour ce tas de
bipèdes honnêtes, dévots, vérolés et cætera  ? Pas si bête, on ne
vit qu’une fois. Si vous fusillez les jésuites et les généraux, je n’en serai
pas fâché ; mais je ne me dérangerai pas pour aller voir ça. J’aimerais
encore mieux, tiens, reconduire une fois de plus cette petite dinde exquise de
Mercédès. Si vous écopez, quelques bons bougres échappés aux cours martiales
trouveront toujours chez moi de quoi passer la mer ou la montagne. Je t’inscris
premier. Ça ne vous empêchera pas de dire après que je suis un lâche. Vous
gênez pas. Ne m’en demandez pas plus. Nada mas ! C’est tout, mon
vieux.
    La nuit s’éternisait, nous n’en étions point las. Il
continua son soliloque :
    – Vois-tu, rien n’est vrai que toi. Moi pour moi. Je
suis seul comme tu es seul. Ferme les yeux : finies les étoiles. Tu peux
aimer une femme, à vouloir te tuer pour elle : tu ne sentiras rien quand
elle aura mal aux dents. Seul. Seul. On est seul. Et c’est terrible, quand on y
pense ! Et la vie passe, mon vieux, la vie passe… Je grisonne. J’ai une
mauvaise tension artérielle. Que me reste-t-il encore de bon ? Dix ans ?
Quinze ans ? Pas même. Tiens, j’envierais presque Conception ou Mercédès, ou
cette brute de vingt ans…
    Un soldat râblé descendait le boulevard.
    – La mort n’est rien, mais la vie est inexprimable. Quel
prodige d’être là, de respirer cette fraîcheur, de se sentir bouger, vouloir, penser,
et de découvrir partout le monde ! Je ne me suis plus séparé depuis quinze
ans de ce joujou-là (un triangle d’acier noir s’allongeait dans sa main tendue
bien ouverte). Sept balles prêtes à toute heure, la dernière pour moi. Personne
n’est plus libre que moi, avec cette certitude. Cette décision prise une fois
pour toutes on devient fort. Et sage. J’aime la vie, vieux. Je n’ai que la
mienne. Je ne la risque que pour la sauver. Je ne me bats que pour moi. – J’ai
trois richesses ; les femmes, les bêtes, les plantes. Mon bonheur c’est de
marcher dans un jardin, où les plantes sont puissantes, les fleurs opulentes. Je
veux des fleurs qui crient, qui saignent, qui chantent. Et des palmiers. Sais-tu
ce que c’est qu’une feuille de palmier ? C’est fort, souple et tendu, c’est
plein de sève, c’est calme comme des étoiles. Voilà la vie. Mon bonheur c’est
de flatter de la main un cheval. Tu lui mets la main sur les naseaux, tu lui
tapotes doucement le poitrail et il te regarde comme un ami. Tu n’auras pas de
meilleur ami, va. As-tu jamais senti comme la chair des bêtes est chargée d’électricité ?
Mon bonheur c’est la femme, toutes les femmes : je ne sais vraiment pas
celles qui me donnent davantage de celles que je regarde ou de celles que je
prends. – Pour qui veux-tu que je risque tout ça ? Battez-vous : je
vise les banques et j’embarque pour le Brésil.

4. L’armement.
    Je n’avais rien à lui répondre. La foi, l’évidence, l’absurdité
n’appellent
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