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Milena

Milena

Titel: Milena
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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confier son poste à l’infirmerie, elle
fut automatiquement transférée dans le meilleur bloc du camp, à la baraque n°1
où vivaient les « anciennes » parmi les politiques, celles qu’on
appelait les « criminelles d’opinion ». Ce transfert représentait un
avantage supplémentaire, dans la mesure où cette baraque était moins surpeuplée
que les autres. J’étais à l’époque, je l’ai déjà dit, Blockälteste chez
les Témoins de Jéhovah, à la baraque n°3. Chaque baraque comportait une pièce
de service destinée à la surveillante SS, mais où la Blockälteste avait
également le droit de venir. Cette pièce était la seule où régnait une sorte d’intimité.
La chef de Block SS s’y tenait quelques heures durant la journée, mais la nuit,
la pièce était vide.
    Parfois Milena s’aventurait à m’y rendre visite, quand elle
savait que la surveillante SS était absente. En sa qualité d’employée de l’infirmerie,
elle avait le droit de venir dans les baraques pendant les heures de travail, pour
quelque commission. Je l’entraînais ensuite dans la pièce de service où nous
pouvions discuter quelques minutes sans être dérangées. Mais c’était là une
entreprise dangereuse car la menace des SS planait constamment.
    Notre désir d’être, pour une fois, plus longtemps ensemble
ne cessait de croître. Nous étions déjà en automne, les nuits étaient orageuses,
sombres, sans lune ; un soir, à la promenade, Milena m’exposa le plan qu’elle
avait conçu – d’un ton si catégorique que toute réserve de ma part l’aurait
profondément blessée. Elle avait décidé de venir me rendre visite pendant la
nuit dans la pièce de service. Elle sortirait de la baraque une demi-heure
après que la garde de nuit aurait effectué sa ronde et me rejoindrait en
empruntant l’allée du camp où rôdaient pendant la nuit des chiens-loups
spécialement dressés pour surveiller les détenues. Je devais lui ouvrir la
porte de la baraque lorsqu’elle arriverait. Mon sang se figea lorsque je me
rendis compte du terrible danger auquel elle s’exposait. Mais, confrontée à sa
farouche détermination, je sentis la honte m’envahir et j’acquiesçai. Une
demi-heure après que les SS eurent effectué leur contrôle nocturne, j’ouvris
doucement la porte de la baraque et tendis l’oreille dans l’obscurité. On n’y
voyait pas à un mètre, il pleuvait à verse. À l’affût de ses pas, j’entendais, de
toutes parts, une multitude de bruits menaçants. La nuit semblait remplie de
craquements, je croyais entendre les bruits de bottes des SS et, submergée par
la tension nerveuse, je crus même entendre des coups de feu du côté de l’allée.
La baraque, elle aussi, débordait de vie et personne ne devait me voir. À chaque
instant, l’une de ses trois cents habitantes s’empressait vers les toilettes et
je devais quitter en toute hâte mon poste de guet. Tout à coup la porte du bloc
s’ouvrit et Milena entra en sifflant doucement : «  It’s a long way
to Tipperary, it’s a long way to go… » Je la saisis par le bras et l’entraînai
dans la pièce de service.
    Ses cheveux ruisselaient, les pantoufles qu’elle avait
chaussées pour ne pas faire de bruit étaient à tordre. Mais quelle importance !
Elle avait réussi. Nous nous accroupîmes devant le poêle brûlant que j’avais
allumé par précaution ; c’était comme si nous venions de réussir à nous
échapper d’un cachot. Nous avions devant nous une nuit entière de liberté !
    La chaleur et l’obscurité de la pièce donnaient un sentiment
de sécurité. Milena se glissa tout contre le poêle pour se sécher. « Tes
cheveux sentent le bébé ! murmurai-je en riant. S’il te plaît, parle-moi
donc de chez toi, de Prague, quand tu étais encore petite ! J’aimerais
tellement savoir à quoi tu ressemblais à l’époque… » Jusqu’alors, Milena
ne m’avait que peu parlé de sa vie. Et quand elle l’avait fait, cela n’avait
été que par bribes. Mais en cette nuit de novembre où nous étions détachées de
tout, comme transportées en lieu sûr, sur une île, je parvins à la faire parler.
    Milena était née à Prague en 1896 et ses premiers souvenirs
remontaient aux dernières années du dernier siècle ; souvenirs de sa mère,
notamment, une très belle femme, à la chevelure châtain, ondulée. Le matin, elle
s’attardait souvent devant son miroir, vêtue d’un long peignoir moelleux et
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