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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif
Autoren: Jerry Spinelli
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marmonnant à votre ami : « Encore
    un neuneu ! »
    C’est à un carrefour que j’ai rencontré ma femme. Celui de
    la 13e et de Market Street. Par un jour froid de novembre. Elle
    s’est arrêtée, a écouté. C’était plutôt rare. Cinq minutes plus
    tard, elle n’avait pas bougé. Je n’avais jamais vu ça. Puis elle est
    partie, mais pour aussitôt rappliquer avec un sachet de
    châtaignes grillées qu’elle avait achetées à un vendeur
    ambulant. Elle m’en a offert une. Elle s’appelait Viviane.
    Elle est revenue tous les jours, restant chaque fois un peu
    plus longtemps, m’apportant des châtaignes chaudes. Elle m’a
    sorti de la rue, m’a entraîné déjeuner au café, me balader dans
    des jardins, jouer aux cartes dans son appartement du rez-de-
    chaussée.
    Je continuais à discourir, à raconter mes histoires. Viviane
    est devenue mon coin de rue. C’était une personne normale et
    sensée, même si je crois que, à l’époque, elle tournait foldingue.
    Mes mots l’ont peut-être éblouie. Elle m’a peut-être considéré
    comme un réfugié de guerre nécessiteux ou une exotique
    création de l’Histoire. Toujours est-il qu’un beau jour, tout à
    trac, elle m’a sorti :
    191

    — D’accord. J’accepte de t’épouser.
    Le lui avais-je seulement demandé ?
    Le mariage a duré cinq mois. Viviane a rapidement
    découvert que vivre avec moi n’était pas la même chose que
    jouer aux cartes avec moi.
    Lorsque, en fin d’année, les enfants frappaient à notre seuil
    en braillant leurs chants de Noël, je leur claquais la porte au
    nez.
    Lorsque je voyais un exemplaire d’Hansel et Gretel dans la
    vitrine d’un libraire, j’entrais, attrapais le livre et le déchirais en
    mille morceaux, et Viviane devait le rembourser.
    Dans la douche, je me collais parfois sous le robinet d’eau
    froide, même si je ne suis jamais arrivé à devenir bleu.
    Je volais des pommes à l’étalage.
    Je me comportais bizarrement lors des défilés.
    Je riais aux mauvais endroits.
    J’entendais les mouches me dire : « Tu te rappelles
    Varsovie ? Quel festin ! Nous mangions tellement de merde que
    nous n’arrivions plus à nous envoler ! »
    Je pleurais à tout bout de champ.
    La nuit, des Bottes Noires colossaux brandissant des lance-
    flammes hantaient mes rêves.
    Viviane a fini par en avoir assez. Comme elle me quittait, j’ai
    contemplé son ventre.
    — T’es enceinte ?
    — Salut !
    Elle a fermé la porte, et je suis retourné à mes coins de rue.
    Vous rappelez-vous le jour où vous marchiez d’un bon pas avec
    votre mallette ou votre sac à provisions en direction du
    parking ? Le Fou Bavard à une oreille et haut comme trois
    pommes qui vous a interpellé ? C’était moi, pépiant jour après
    jour sur Olek et Youri, Himmler et la poule, Kouba le clown et
    les corbeaux, les perles noires et ma pierre jaune, la nourriture
    qui volait par-dessus les stalles, la vache incandescente qui
    volait, les orphelins qui marchaient au pas en chantant,
    l’homme qui récurait le trottoir avec sa barbe, la panse de Buffo
    et le bouc du docteur Korczak, les dames aux gants blancs et aux
    appareils photo, Greta la jument qui n’avait jamais existé.
    192

    C’était un fouillis, dans mon crâne. Je n’ose imaginer la bouillie
    incohérente qui sortait de ma bouche.
    Et vous ? Vous étiez ce qui me donnait forme. « Mais je
    n’écoutais même pas, protestez-vous. Je ne me souviens même
    pas de vous. » Ne culpabilisez pas. L’important n’était pas que
    vous écoutiez mais que je parle. Je le comprends, aujourd’hui.
    Je suis né dans la folie. Lorsque le monde est devenu fou, j’étais
    prêt. C’est ainsi que j’ai survécu. Et quand la folie s’est achevée,
    où ai-je échoué ? Au coin d’une rue, voilà où, donnant de la voix,
    me répandant. J’avais besoin de vous. Vous étiez le récipient
    dans lequel je me déversais.
    J’ai étendu mon champ d’activités. Je me suis rendu dans
    des villes qui n’avaient jamais eu leur bavard de carrefour.
    Norristown. Conshohocken. Glenside.
    Les années et les mots se sont écoulés.
    Puis, un jour, à Philadelphie, dans l’ombre de la mairie,
    deux femmes se sont arrêtées pour m’écouter. Elles avaient
    dans les soixante-dix ans. Elles portaient de larges capelines qui
    abritaient leurs visages du soleil, tels de petits parasols. Au bout
    d’un moment l’une d’elles a tendu la main, l’a collée sur le
    moignon de mon
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