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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif
Autoren: Jerry Spinelli
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tant d’autres. Des wagons à
    bestiaux, des wagons à charbon, des wagons-citernes. Des
    milliers de trains. Aucun ne m’a jamais conduit à Janina. Ni à
    une quelconque montagne sucrée.
    Quelque part en chemin, j’ai entendu l’histoire d’Hansel et
    Gretel, et j’ai compris que la fin était un mensonge, que la
    sorcière ne mourait pas dans le four.

    Un beau jour, je me suis retrouvé dans la ville de Varsovie.
    Les cratères avaient été rebouchés. Les ruines se dressaient
    encore. Des camions et des charrettes les emportaient. Croyant
    entendre une mitrailleuse, j’ai plongé sous une porte cochère.
    C’était un marteau-piqueur. Des gens étaient avachis dans les
    ruelles, mais ils n’étaient pas couverts de papier journal. Ils
    dormaient pour de vrai.
    Je suis tombé sur le ghetto. Le mur avait disparu. Je suis
    entré. J’ai cherché la rue Niska. Ne l’ai pas trouvée. Ni notre
    maison. Ni celle des orphelins. Ni le réverbère où Olek avait été
    pendu. Ni le tapis sous lequel nous avions dormi. Il y avait des
    ruines et il n’y avait rien. Même les mouches s’étaient envolées.
    Dans mes trains, j’avais entendu parler du soulèvement.
    Jusqu’alors, j’avais cru que j’étais le dernier à être sorti du
    ghetto. J’ignorais que quarante mille personnes y vivaient
    encore. Au printemps suivant, à l’époque où je transbahutais
    des pierres pour le compte du fermier, les juifs s’étaient révoltés
    contre les Bottes Noires à l’aide de pistolets volés et de cocktails
    Molotov. Mais les Bottes Noires, avec leurs chars et leurs lance-
    flammes, étaient trop nombreux, et la révolte s’était achevée dès
    le mois de mai. Les gens avaient été conduits aux derniers
    trains. Le ghetto avait cessé d’exister.
    Debout dans le silence poussiéreux, j’ai enfin compris ce
    que Youri avait fait. Ce dont il m’avait sauvé. J’ai compris que le
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    Youri que je connaissais – le vrai Youri – n’était pas celui des
    nazis. J’ai souri au souvenir de lui, ce dernier jour, mais habillé
    de ses propres vêtements, montrant le poing aux tanks, plus
    rouquin que jamais, redevenu visible, attirant sur lui l’attention
    du monde entier.
    Après avoir quitté le ghetto qui n’existait plus, j’ai erré dans
    les mes de la ville. J’ai volé pour manger.
    Un jour, sur un trottoir surpeuplé, j’ai senti une bouffée de
    menthe. Je me suis arrêté net, ai regardé autour de moi, suis
    revenu sur mes pas en courant. Ai scruté les visages. Ai reniflé.
    Elle était bien là, la menthe. Un homme mâchouillait, des
    résidus verts sur les lèvres. Un homme maigre et nerveux. À la
    moustache blanchie. Aux yeux vides. Aux vêtements
    déguenillés. Aux pieds nus, si sales que j’ai d’abord pensé qu’il
    portait des chaussures ou des chaussettes. Disparu le gourdin.
    Disparue la panse.
    Je me suis planté devant lui. Il s’est arrêté.
    — Gros lard !
    Il n’a pas bougé la tête. A mollement baissé les yeux sur
    moi.
    — Gros lard ! ai-je répété en tirant sur ses hardes.
    Son regard était mort.
    — C’est moi, gros lard. Misha. Moi et Janina. Tu te
    rappelles ?
    Il n’a pas réagi. Je l’ai secoué.
    — Gros lard ! Buffo ! Tu me hais. Tu veux me tuer. Me voici.
    Tiens – saisissant sa paume, je l’ai posée sur mon crâne – tue-
    moi.
    Sa main a glissé, inerte, le long de son corps. Je lui ai lancé
    un coup de poing dans l’estomac.
    — Regarde, gros lard !
    J’ai tiré de ma poche quelque chose que j’avais gardé toutes
    ces années : le brassard, autrefois bleu et blanc, aujourd’hui
    presque noir. Je l’ai enfilé sur ma manche.
    — Regarde, gros lard ! Je suis juif. Tu dois me tuer.
    Regarde !
    Mais il ne regardait pas. Il a repris son chemin, m’a
    bousculé, m’envoyant presque valser par terre, s’est éloigné. Je
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    l’ai suivi des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse dans la foule.
    Ôtant le brassard, je l’ai laissé tomber sur le trottoir.

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    Le monde retrouvait sa normalité, mais moi, je n’avais pas de
    normalité à laquelle revenir. Ma normalité, c’était voler du pain
    et boire l’eau des fossés. Peu à peu, j’ai appris les fourchettes et
    l’argent, les brosses à dents et les toilettes.
    De retour à la campagne, j’ai fait ce que je savais faire le
    mieux. J’ai volé. Je raflais tout ce que je pouvais transporter. Je
    suis devenu mon propre âne. Je tirais une petite carriole
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