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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif
Autoren: Jerry Spinelli
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fête
    d’anniversaire avait été organisée. Mais ce n’étaient pas des
    bougies, c’étaient des torches. Des hommes les brandissaient
    devant la pâtisserie même où j’avais volé le gâteau ce jour-là. En
    36

    vitrine, les strudels4 et les tartes dansaient à la lueur des
    flammes. Quelqu’un avait peint une grande étoile jaune sur le
    carreau.
    Un homme est apparu sur le seuil de la porte latérale. Il
    était en chaussettes et avait jeté un manteau sur ses épaules.
    D’abord, personne ne l’a remarqué.
    — Hé ! a-t-il crié. Qu’est-ce que vous faites ?
    Ceux qui tenaient les flambeaux et les pinceaux se sont
    retournés. Ils ont eu l’air contents de le voir. Se sont approchés.
    Lui ont enlevé son manteau. L’un d’eux lui a tenu les bras
    pendant qu’un autre badigeonnait son visage avec la peinture
    jaune qui avait servi pour dessiner l’étoile. Le peintre a pris
    grand soin de couvrir toute sa barbe. Puis ils l’ont déshabillé.
    L’homme ruait et hurlait. Quelqu’un a placé une torche tout
    près de son visage. Il s’est calmé. À la lueur de la flamme, ses
    yeux étaient ardents comme la vitrine de la pâtisserie.
    Les peintres ont terminé de le peindre, en blanc et jaune, de
    la tête aux pieds. Ils ont reculé et ont brandi leurs flambeaux
    pour mieux l’admirer. L’homme peint ressemblait à un clown
    très, très triste. Ceux aux torches et aux pinceaux hurlaient de
    rire. L’un d’eux a donné une claque sur les fesses du clown
    triste, déclenchant un nouvel accès de joie. Puis une voix a
    brusquement crié : « File ! File ! », et l’homme peint s’est
    effondré à l’intérieur de sa maison.
    C’est alors que je me suis rendu compte du nombre de
    torches qui illuminaient la rue. Du verre brisé. J’ai bifurqué.
    C’était partout : flambeaux et rires, éclats de verre et peintres
    badigeonnant les vitrines.
    J’ai entendu un cheval arriver. Greta, ai-je pensé. Mais ce
    n’était pas une jument mouchetée. Quelqu’un montait la bête,
    mais pas d’une manière ordinaire. L’homme était attaché sur le
    dos de l’animal, à plat ventre, tête vers l’arrière. Son menton
    barbu tressautait sur la croupe du cheval, et sa figure tour à tour
    s’enfonçait dans la queue du cheval et en ressortait.
    Je me suis dit : «Je suis bien content de pas être juif. »

    4 Gâteaux aux pommes et aux raisins secs parfumés à la cannelle. Spécialité d’Europe
    centrale.

    37

    En rentrant à la maison, j’ai levé les yeux sur les fenêtres au-
    dessus des boutiques, là où vivaient les gens. Toutes étaient
    sombres et silencieuses. Les hommes dans la rue lançaient des
    cailloux et cassaient les vitres, mais aucun visage ne se
    montrait, aucune lumière ne s’allumait.
    Tôt le lendemain matin, j’ai entraîné Youri pour lui
    montrer. Il y avait toujours des gens occupés à peindre les
    vitrines des magasins. Cette fois, cependant, c’étaient les
    hommes barbus, les propriétaires des boutiques.
    — Qu’est-ce qu’ils écrivent ? ai-je demandé à Youri.
    — Juif.
    — Ils ne savent pas encore qu’ils sont juifs ?
    — C’est pour que tout le monde le sache.
    — Pourquoi ?
    — Pour que personne ne fréquente plus ces boutiques et
    n’achète plus rien aux juifs.
    J’ai réfléchi un instant.
    — Youri, il va falloir que tu peignes « juif » sur la vitrine du
    barbier ?
    — Non.
    — Mais t’es juif !
    — Et d’un, ils ignorent que j’habite là-bas. Et de deux, qui a
    jamais entendu parler d’un juif rouquin ?
    J’ai réfléchi encore un peu.
    — Et moi ? Je vais devoir peindre « tsigane » ?
    — Non.
    — Bien.
    Mais en réalité, ça ne m’aurait pas tellement dérangé
    d’écrire « tsigane » sur la vitrine. Je pensais même que ça
    m’aurait bien plu d’être peint en blanc et jaune de la tête aux
    pieds, surtout si on me laissait garder mes vêtements. Par
    contre, j’avais vraiment peur d’être ligoté à dos de cheval, ma
    figure dodelinant sur sa queue. Cette fois, je l’ai dit tout fort :
    — Je suis bien content de pas être juif.
    — Ne te réjouis pas trop vite, a rétorqué Youri.

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HIVER

    Ils sont venus en pleine nuit. Je les ai entendus, au-dessus de
    nous. Des cris. Des rires. Du verre brisé. Les flacons de lotion !
    Toutes ces couleurs magnifiques.
    Youri m’a tiré du lit.
    — Manteau ! Manteau !
    J’ai tâtonné dans le noir.
    — Chaussures !
    Je les ai attrapées. Il m’a
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