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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif
Autoren: Jerry Spinelli
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tailleur par terre et j’ai mordu dedans.
    Le jus gouttait sur mon menton, comme, bien souvent, celui des
    cornichons sur celui de Youri. J’ai cueilli la deuxième tomate.
    Tout en l’avalant, j’ai regardé la maison. Quelqu’un était assis
    sur un perron. Une petite fille. Qui m’observait.
    Je n’avais jamais mangé sous les yeux de quelqu’un, sauf
    Youri ou les garçons. Manger venait toujours après avoir couru.
    Et pourtant, je n’ai pas bronché. Je suis resté assis là, et j’ai
    dévoré la dernière tomate rouge de toute la ville, regardant la
    fille me regarder. Elle avait les coudes posés sur les genoux, le
    visage encadré pas ses mains en coupe. Ses cheveux bouclaient
    et avaient la couleur de la croûte du pain. Ses yeux étaient bruns

    2 La Pologne a été envahie par l’armée allemande le 1er septembre 1939.
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    comme des châtaignes. Ils étaient très grands.
    Ma tomate terminée, je me suis levé et suis parti. Sans
    courir. Lorsque je me suis retourné, la fille continuait à me
    contempler. Ses yeux ronds et immobiles m’ont donné
    l’impression d’être devenu soudain visible. Comme si c’était la
    première fois qu’on me voyait. Tout en m’éloignant, je n’ai pas
    cessé de regarder par-dessus mon épaule.
    Quand j’ai raconté à Youri que j’avais mangé deux tomates
    rouges, il ne m’a pas cru.

    À la première coupure de courant, Youri m’a dit :
    — Bon, voici qui tu es. Tu t’appelles Misha Pilsudski3.
    Et il m’a raconté mon histoire…
    Moi, Misha Pilsudski, tsigane, j’étais né quelque part sur les
    terres de Russie. Ma famille, y compris deux arrière-grands-
    pères et une arrière-arrière-grand-mère âgée de cent neuf ans,
    voyageait de lieu en lieu dans sept chariots tirés par quatorze
    chevaux. Derrière venaient dix-neuf chevaux supplémentaires,
    car mon père était maquignon. Ma mère tirait les cartes. Rien
    qu’en les lisant, elle savait dire comment on mourrait. Rien
    qu’en scrutant les yeux d’une personne, elle pouvait donner le
    nom de celui ou celle qu’elle épouserait.
    Tous les soirs, le convoi s’arrêtait dans un bosquet près d’un
    ruisseau. Nous, les petits, avions pour tâche de ramasser du bois
    pour le feu et de nourrir les bêtes. Mon cheval favori était une
    jument mouchetée appelée Greta. Chaque jour, un de mes frères
    me hissait sur le dos de Greta, et je prétendais la monter.
    J’avais sept frères et cinq sœurs. Je n’étais pas le plus jeune,
    mais j’étais le plus petit. J’étais aussi petit à cause de la
    malédiction lancée par un rétameur qui n’avait pas apprécié la
    prédiction de ma mère.
    Étant tsiganes, nous étions partout chez nous, et c’est ainsi
    que nous étions arrivés en Pologne. Mon père y avait négocié
    beaucoup de chevaux. Ma mère avait beaucoup dit la bonne

    3 Josef Pilsudski (1867-1935) : maréchal polonais qui participa à la restauration de la
    Pologne après la Première Guerre mondiale, prit le pouvoir par un coup d’État en
    1926 et gouverna en dictateur d’extrême droite et antisémite jusqu’à sa mort.
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    aventure. Puis un avion Bottes Noires nous avait bombardés. La
    guerre n’avait pas encore commencé. Les avions Bottes Noires
    effectuaient seulement un exercice de routine pour s’y préparer.
    Le général Bottes Noires leur avait donné la permission de
    s’entraîner sur les juifs et les tsiganes. Aussi, lorsqu’un pilote
    Bottes Noires avait repéré nos sept chariots pleins de tsiganes, il
    avait aussitôt largué ses bombes, ses lunettes d’aviateur et tout
    le contenu de ses poches.
    Heureusement, nous avions levé les yeux et vu arriver tout
    ça. Nous nous étions éparpillés – les sept chariots dans sept
    directions différentes. J’étais resté avec mon père et ma mère.
    Ils étaient tristes, mais pas moi, car ma jument préférée, Greta,
    était avec nous. Puis, un soir, alors que nous campions dans un
    bouquet d’arbres, des paysans polonais, qui haïssaient les
    tsiganes encore plus que les Bottes Noires haïssaient les juifs,
    avaient surgi avec des torches, avaient ligoté ma mère et mon
    père et nous avaient enlevés, moi et Greta.
    Longtemps, Greta et moi étions restés les esclaves des
    fermiers. Ils ne nous donnaient à manger rien d’autre que des
    navets et du lait de truie. Mais, une nuit, Greta s’était échappée
    de sa stalle et s’était sauvée. Le lendemain, j’avais moi aussi
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