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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus
Autoren: Arlette Cousture
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d’entendre parler de la guerre, dont il ne savait que penser.
    – Zofia et moi, nous aimerions faire comme M. Jacek et avoir notre fermette.
    Tomasz, oubliant ses prévisions, sourit en pensant qu’encore une fois lui et sa famille iraient ensemencer et sarcler le potager de M. Porowski. Son sourire disparut rapidement lorsqu’il imagina que cette terre risquait de voler en mottes blessées et qu’elle aurait un goût de cendre
    – Villeneuve, toi qui es encore plus croyant qu’un Polonais, peux-tu me dire quel Dieu tu pries? Celui de ce nouveau pape, Pie XII, qui n’a pas encore usé les semelles de ses mules et dont on ne sait rien des intentions politiques? Le Dieu des Polonais, qui les abandonne sans arrêt? Ou celui des Allemands, qui va leur donner l’univers dans un calice de sang?
    Villeneuve détestait ce genre de question puérile qui le troublait et l’obligeait à faire de Dieu un porte-drapeau emprisonné dans un uniforme. Il refusa de répondre, se contentant d’avaler une autre gorgéede vin. Zofia alla à la cuisine chercher une nouvelle bouteille. Jerzy profita du silence pour demander d’être excusé et serra la main de Villeneuve en lui souhaitant bon voyage.
    Tomasz se leva, tituba très légèrement et s’accouda sur l’appui de la fenêtre. Le clairon avait réussi à monter au sommet de la tour mais ne parvint pas à souffler correctement dans son instrument.
    – Il doit être complètement ivre. Ça arrive.
    Tomasz fut pris d’un léger tournis et se retint à l’appui. Il se pencha à l’extérieur, regardant la rue Nicolas. À sa droite, il voyait la silhouette d’une église. À sa gauche, la rue fuyait pour laisser apparaître d’autres maisons et quelques clochers plus discrets. Il respira longuement et profondément.
    – Entends-tu, François?
    Villeneuve n’avala pas la gorgée qu’il venait de prendre, soudain très attentif aux bruits de la nuit, les yeux fixes, se mordant la langue, essayant désespérément de trouver la bonne réponse. Il déglutit enfin.
    – Aussi bien me le dire, Tomasz; je sais que je n’aurai jamais la réponse que tu veux.
    Tomasz ricana en haussant les épaules et regarda son ami, les sourcils levés et les lèvres pincées sur un sourire moqueur.
    – Je suis déçu. Pourtant, rien d’aussi clair n’a couru dans les rues et les champs de Pologne depuis vingt ans. Écoute bien...
    Villeneuve s’approcha du cadre de la fenêtre et, malgré ses efforts, n’entendit rien d’autre que le bruit irrégulier des véhicules, une lointaine sirène d’ambulance, des pas étouffés, la toux d’un voisin, levagissement d’un enfant, les gargouillis de la tuyauterie de la maison. Rien. Il n’entendit même pas le clairon de Notre-Dame, qui s’était probablement endormi profondément avant d’avoir pu annoncer la première heure du samedi 24 juin. Villeneuve pensa tout à coup que son ami parlait des sons de l’été et, enhardi, voulut proposer cette réponse lorsque Tomasz répondit lui-même.
    – La rumeur, François, la rumeur. Elle est cachée dans les têtes mais je sais que chaque Polonais qui respire la nourrit. Les âmes polonaises savent, François, que les canons vont attaquer leurs chairs.
    Tomasz quitta son coin de fenêtre et retourna s’asseoir. Il se versa un autre verre de vin qu’il regarda longuement devant le reflet de la lampe avant de prendre une gorgée qu’il ne sembla pas savourer.
    – Oui, François, les âmes le savent et elles s’empressent de se préparer à quitter les corps... ou le pays. Si seulement j’étais plus jeune, j’inviterais la mienne à vivre ailleurs.
    Villeneuve mit quelques secondes à comprendre les propos et la profonde douleur de son ami. Il se pencha la tête dehors pour essayer de reconnaître cette rumeur mortelle. Il se tourna enfin vers le salon, regarda longuement Tomasz et Zofia avant de proposer de les faire sortir par la filière des oblats canadiens. Tomasz enleva ses lunettes, les frotta énergiquement et les remit tranquillement.
    – Non, merci. C’est d’ici que je veux voir venir les obus cannibales.
    Zofia regarda son mari. Elle savait qu’il venait de décider de ne pas bouger quoi qu’il advienne. Il resterait, cachant sa dissidence derrière des lunettes protectrices. La myopie l’avait protégé de la conscription,mais ses yeux, si bien déformés par le verre, devenaient fragiles sitôt découverts. Zofia avait compris que ces yeux dépouillés,
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