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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus
Autoren: Arlette Cousture
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appellent évidemment «l’illustre université jagellonienne 1 » en insistant sur «illustre» les lèvres pincées et les dents collées, mais aussi parce que ma mère, il est notoire, est un des meilleurs professeurs de piano de Cracovie et une incomparable interprète de Chopin. Ils répètent évidemment à qui veut l’entendreque Chopin n’est qu’à moitié polonais, l’autre moitié étant française.
    Tomasz l’interrompit sèchement.
    – Tu diras à tes amis qu’ils saliront probablement leurs petites mains blanches manucurées quand ils auront à creuser des tranchées.
    Jerzy jeta un coup d’œil à Villeneuve et à sa mère. Il se demandait si son père avait réagi aussi violemment parce que lui-même avait été méprisé ou parce que la guerre était plus imminente qu’il ne l’aurait cru. Zofia lui sourit pour le rassurer et se leva pour porter les assiettes à la cuisine. Élisabeth l’imita tandis que Jan annonça fièrement que ses mains n’étaient pas trop blanches et qu’il ne reculerait devant aucune tranchée à creuser. Pour toute récompense, il dut se retirer de table et aller se savonner.
    Tomasz se leva et s’avança vers la fenêtre. Il entendit le clairon annoncer vingt et une heures et s’interrompre brusquement.
    – Est-ce que c’est bien vrai, Tomasz, que le clairon s’interrompt toujours au milieu du morceau?
    – Oui. Ça c’est la Pologne, François. Une longue mémoire pour la tristesse des événements. On a un Requiem quotidien pour le pauvre guetteur qui a été tué par une flèche tatare pendant qu’il jouait du clairon.
    Jan revint dans la pièce et s’assit aux côtés de son frère qu’il admirait sans réserve. Jerzy proposa de faire un petit récital pour souligner le départ du père Villeneuve, ce que toute la famille accepta avec enthousiasme. Jan et Élisabeth furent ravis de repousser l’heure du coucher alors que Jerzy était enchanté de voir que les adultes l’écoutaient.
    Jan tira la couverture et sortit son herbier de sous l’oreiller. Il tourna les pages encore une fois, avec mille précautions pour éviter d’abîmer les fleurs et les feuilles séchées. Il avait, à trois reprises, tenté de demander au père Villeneuve de lui expédier du Canada des feuilles rouges, orange et rouille, mais avait toujours été interrompu. Il se promit donc de lui écrire, avec l’aide d’Élisabeth, au mois de septembre. Jan parvint à s’endormir, les voix du salon lui parvenant comme un ronronnement.
    Tomasz versa un autre verre de vin à Villeneuve qui en aspergea accidentellement sa soutane. Jerzy lui apporta un linge humide.
    – Quelle sottise! C’est la soutane que je dois porter demain pour le voyage. Je vais sentir le vin.
    Villeneuve ne cessait de frotter le devant de son vêtement, y ajoutant quelques mousses blanches de la guenille.
    – C’est pire.
    – Mais ce sera sans odeur.
    Tomasz souriait de la déconfiture de son ami, qui, il le savait, élevait le soin de sa personne jusqu’à la coquetterie. Villeneuve, l’air penaud, se calma et se rassit. Il regarda son ami Pawulski et comprit que celui-ci avait l’inquiétude collée au ventre. Il savait Tomasz certain que la Pologne serait encore violée par des soldats aux bottes pleines de crottin, qui écraseraient encore une fois les frontières, froissant ainsi le traité de Versailles. En bon professeur d’histoire, Tomasz comprenait toujours le présent par l’étude du passé.
    – Au Manitoba, Tomasz, l’immensité de la plaine nous étouffe. Comme tu étouffes ici aujourd’hui.
    Tomasz le regarda, sensible à sa compassion. Il ne pouvait savoir que François, venu en Pologne pour maîtriser la langue parlée par de plus en plus d’ouailles immigrées, avait envie de blasphémer. Un blasphème de révolte devant le chantage et les menaces de Hitler. Tomasz ignorait aussi que deux années de vie à Cracovie lui avaient souvent fait regretter de porter la soutane lorsqu’il voulait comprendre pourquoi les Polonais défendaient mains nues une terre entourée de barbelés.
    – Je mettrais ma main au feu que les cultivateurs n’auront pas le temps de récolter, cette année.
    Tomasz venait de fixer une échéance à son cauchemar. Zofia, qui était venue s’asseoir, le regarda, étonnée par cette prédiction pessimiste, inquiétée par l’irréfutabilité coutumière de ses analyses. Jerzy, lui, fronça les sourcils, soudainement alerté. Son père venait de
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