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Mathilde - III

Titel: Mathilde - III
Autoren: Alain Pecunia
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raison.
    – Madame la comtesse…
    Le maire avait achevé son discours et l’interpellait à haute
voix. Il dut s’y prendre à trois fois avant que Mme de La Joyette
comprît qu’il s’adressait à elle tant elle était absorbée dans ses
pensées et absente de la cérémonie.
    – Oui ? fit-elle étonnée alors que tous les regards
convergeaient sur elle.
    – Si madame la comtesse souhaitait prendre la parole ?
proposa le maire avec son air patelin qui exaspérait tant Mme de La
Joyette car il dissimulait une nature des plus grossières, commune
à cette nouvelle race de parvenus ruraux, profiteurs de guerre à
leur façon.
    Ses deux fils aînés étaient morts à Verdun et il venait de
marier son cadet à la fille du notaire dont l’unique fils était
également tombé au feu. Auparavant, il avait spolié sa jeune
belle-sœur dont le mari s’était également fait tuer et spéculé sans
vergogne sur le cours des denrées.
    Mathilde n’avait nulle envie de prendre la parole ni d’être la
dupe du maire qui affichait déjà un sourire de satisfaction qu’elle
jugea bien présomptueux. « Nous n’avons vraiment rien de
commun », songea-t-elle, mais son rang ne lui permettait guère
de se dérober. Aussi, sans lâcher la main de ses filles fort
intimidées, fit-elle quelques pas en avant et, parvenue à
mi-distance du rang d’oignon des officiels, leur tourna
ostensiblement le dos, pour faire face au gros de l’assistance dont
elle parcourut lentement du regard le cercle resserré après avoir
relevé sa voilette.
    Alors que ses gens semblaient, quelque temps plutôt, comme
somnoler sous la longueur des discours, Mme de La Joyette les vit
soudainement s’éveiller, certains esquissant un sourire.
    Bien que l’heure fût empreinte de gravité, elle en fut flattée
sans toutefois réaliser qu’en s’étant placée, par pure répulsion à
l’égard du maire, entre les notables et les villageois, elle se
démarquait ainsi, aux yeux de ses gens, des premiers et asseyait
par là même la seule autorité qui leur parût légitime ou qu’ils
pouvaient, en tout cas, opposer à celle qui n’émanait pas de leur
communauté.
    – Le gouvernement a jugé utile, commença-t-elle d’une voix
tendue, que tous les citoyens, jeunes et vieux, se réunissent
chaque année à la même date, à la même heure, dans toutes les
communes de France devant le monument élevé à nos morts pour que
nous célébrions tous ensemble leur mémoire et leur sacrifice. Cela
part certainement d’une bonne intention. Le nom de ces héros est à
jamais inscrit dans la pierre et portera témoignage de leur
sacrifice pour les générations futures. Mais,
nous,
qui
avons perdu un ou plusieurs êtres chers, avons-nous besoin de cela
et de discours officiels pour nous en souvenir alors que chaque
jour qui passe nous ne cessons d’y penser car ils nous manqueront à
jamais ? Nous nous connaissons tous, poursuivit-elle en
élevant la voix, et nous savons la peine de chacun et l’épreuve qui
l’a frappé. Pour ma part, je n’ai pas été la plus éprouvée et
j’accepte le sacrifice de mon mari. Mais comment pourrait-on
admettre la mort d’un ou de plusieurs de ses enfants ? Et que
dire aux pauvres orphelins privés de leur père ? Veuves ou
mères éplorées, nous sommes bien trop nombreuses. Pourtant, cela
fait de nous un immense parti, dit-elle en se laissant emporter par
son discours. Et, si nous avons été capables, durant la guerre, de
remplir les tâches des hommes mobilisés et continuons de le faire
pour celles d’entre nous qui se sont retrouvées veuves, que ne nous
donne-t-on pas le droit de vote pour que nous puissions élire des
hommes – et pourquoi pas des femmes ? se surprit-elle à dire –
qui se seront engagés à faire une loi décrétant la guerre hors la
loi à jamais…
    Mme de La Joyette se surprit de ses propres paroles car de tels
propos correspondaient mieux à l’esprit de sa belle-sœur qu’au
sien, même si, en son for intérieur, elle les jugeaient frappée du
coin du plus évident bon sens. D’ailleurs, le président Poincaré ne
s’était-il pas prononcé en faveur du vote des femmes l’année
passée ?
    Par courtoisie, Mme de La Joyette se retourna vers le rang
d’oignon des officiels pour les remercier d’une brève inclination
du chef. Si le visage chafouin du maire la réjouit, elle fut
surprise du regard réprobateur que se permit de lui adresser
l’instituteur alors
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