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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée)
Autoren: Pierre Miquel
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puissance n’était plus militaire et ne dépendait en rien du territoire. Elles accepteraient la responsabilité de l’agression, jusqu’à l’étendre, comme le professeur Fischer, aux prémices de la Première Guerre. Elles tiraient profit de ce mea culpa, jusqu’à prétendre subir et non pas rechercher, au temps de la guerre froide, un réarmement partiel que leur imposait l’Amérique. La flotte japonaise était intégrée à la défense du Pacifique, et la croix noire de Prusse, légèrement modifiée, se retrouvait sur les empennages des avions de l’armée de Bonn.
    Rien ne s’opposait à la reconnaissance par les Allemands des sacrifices communs subis pendant la Première Guerre. Le passé n’était-il pas aboli par la nouvelle configuration des forces, et par la lutte nécessaire contre l’Est surarmé ? On pouvait s’embrasser en frères ennemis à Verdun. La notion de frontière, de territoire, de pré carré semblait définitivement dépassée.
    Aussi Helmut Kohl avait-il accepté facilement de reconnaître, après Brandt, la ligne Oder-Neisse comme frontière de l’Allemagne, pourvu qu’il pût, après la chute du Mur et l’éclatement de l’URSS, réaliser la réunification allemande. Premier pas vers la reconnaissance de la souveraineté complète du nouvel État qui reconstruisait, sur les bords de la Spree, une chancellerie monumentale de verre et de béton, transparente comme la coupole du Reichstag, ouverte au monde et à la démocratie.
    Un bâtiment futuriste, un gigantesque navire amarré sur un terrain vague, comme s’il attendait l’appareillage. Relié au monde par l’électronique, plus qu’à la ville de Berlin, rejoint par les innombrables avions qui font de la capitale allemande la deuxième du monde pour les consultations diplomatiques. Du bureau de verre du chancelier, par une large baie ovale, on peut voir d’en haut la coupole transparente montée sur les lourdes murailles de l’ancien Reichstag. On prend grand soin de dégager le symbole : le pouvoir est sous le regard des députés, eux-mêmes visibles en séance de l’extérieur. Les immenses piliers de béton montent au ciel, sur la route de New York à Moscou. Un centre symbolique, dominant le champ des larmes, le futur monument à la Shoah, référence permanente du passé honni, du crime impunissable.
    Dans ce monde du troisième millénaire où pousse sur l’Eurasie, en son centre nerveux, la capitale allemande, à quoi bon s’encombrer de trop lointaines références historiques ? De Gaulle et Adenauer, Giscard d’Estaing et Schmidt, Mitterrand et Kohl s’étaient volontiers livrés à la réconciliation commémorative des Français et des Allemands, par exemple à Verdun, dans le lamento d’une élégie aux morts inutiles de la Grande Guerre. Le chancelier Schröder, le 11 novembre 1998, n’a pas eu de ces délicatesses. Pourquoi, disait-il, célébrer une guerre perdue, de surcroît oubliée ? Il acceptait la repentance pour l’Holocauste, de nature à servir les intérêts moraux de son pays dans le monde, mais non la référence à Verdun, tout juste bonne à culpabiliser sans profit les Allemands, voire à rappeler aux pays européens leurs divergences mortelles.
    À quoi bon réveiller les fantômes des impérialistes du sol, de la conquête des terres, alors que la vraie puissance ne dépend plus que de la mobilisation financière et des avancées de la technique, dans le redéploiement de l’économie-monde ? Le rappel des luttes européennes du passé n’est-il pas un archaïsme ? Sont-ils décidément voués à l’oubli, les pantalons rouges de la Marne, les mutins du Chemin des Dames, les sacrifiés du Mort Homme ? Les derniers survivants forment, à la fin du millénaire, à peine un bataillon de centenaires. Ils attendent la mort que leurs camarades ont reçue à vingt ans. Ils n’ont aucune haine pour les ennemis d’hier, frères de misère et de malheur. En ont-ils jamais eu ?
    Mais ils n’ont toujours pas admis que la boucherie dont ils étaient les victimes débouche que sur une nouvelle hécatombe, infiniment plus grave, puisqu’elle touchait massivement les populations civiles [139] . Les morts de la Marne, des Flandres, de la Somme, de Verdun et du Chemin des Dames croyaient à la der des der. Il ne faisait pour eux aucun doute que l’agression de Hitler était la reprise du combat qui avait fait d’eux de la « chair à canons ». « La Drôle de
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