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Les murailles de feu

Les murailles de feu

Titel: Les murailles de feu
Autoren: Steven Pressfield
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blessures des poumons et du thorax non encore cicatrisées, il a requis l’indulgence de Sa Majesté pour son ignorance du style d’expression des Perses, ainsi que pour son manque infortuné de poésie et de sens du récit. Il a déclaré que ce qu’il rapporterait ne traiterait ni de rois, ni de généraux, car il ne pouvait avoir et n’avait jamais eu l’honneur d’observer leurs manœuvres politiques. Il ne saurait raconter que ce qu’il avait lui-même vécu et vu, en sa qualité de jeune fantassin de l’infanterie lourde. Peut-être, déclara le prisonnier, Sa Majesté n’apprendrait-elle rien de grand intérêt dans une histoire de guerriers ordinaires, les hommes de troupe, comme il disait.
    Par l’entremise d’Oronte, Sa Majesté répondit qu’au contraire, c’était ce qui L’intéressait le plus. Sa Majesté se déclara déjà largement informée des intrigues des puissants, et ce qu’Elle voulait le plus entendre, c’était justement le récit des hommes de troupe.
    Quel genre d’hommes étaient donc ces Spartiates qui avaient, en trois jours et sous les yeux de Sa Majesté, tué pas moins de vingt mille de Ses plus vaillants guerriers ? Qui étaient donc ces adversaires qui, pour chacun des leurs qui était tombé, avaient emporté chacun dix hommes et même vingt, disait-on, au Royaume des morts ? Comment étaient-ils en tant qu’hommes ? Qu’est-ce qu’ils aimaient ? Qu’est-ce qui les faisait rire ? Sa Majesté savait qu’ils craignaient la mort, comme tous les hommes. Mais comment la considéraient-ils, philosophiquement ? Et plus précisément, dit Sa Majesté, elle souhaitait comprendre ces individus en eux-mêmes, dans leur nature de chair et de sang. Elle les avait observés du haut du champ de bataille, mais de façon indistincte, à distance, comme des identités indiscernables cachées sous les carapaces ensanglantées de leurs casques et de leurs armures.
    Les yeux toujours bandés, le prisonnier inclina la tête et adressa une prière de remerciements à plusieurs de ses dieux. L’histoire que Sa Majesté voulait entendre, assura-t-il, était justement celle qu’il pourrait raconter, et celle qu’il était le plus impatient de raconter.
    Sa Majesté, les maréchaux, les généraux et les conseillers étant satisfaits, l’on tendit au prisonnier un bol de vin au miel pour étancher sa soif, et il fut prié de commencer par où il lui plairait et de raconter son histoire comme il le jugerait préférable. Cet homme, Xéon donc, s’inclina et commença.
    *
    Je me suis toujours demandé ce que c’était de mourir.
    Il y avait un exercice que nous pratiquions quand nous servions d’escorte et de souffre-douleur à l’infanterie lourde Spartiate. Cela s’appelait « le chêne », parce que nous prenions nos positions le long d’une rangée de chênes à la lisière de la plaine de l’Otona, où les Spartiates et les Néodamodes s’entraînaient l’automne et l’hiver. Nous nous mettions en ligne par dix rangs, bardés sur toute notre hauteur de boucliers d’osier tressé, crantés dans la terre, et les troupes de choc venaient nous donner l’assaut ; elles arrivaient sur la plaine par huit rangs, d’abord au pas, puis plus rapidement et finalement en courant à perdre haleine. Le choc de leurs boucliers tressés était destiné à nous épuiser et ils y parvenaient. C’était comme si l’on était heurté par une montagne. En dépit de nos efforts pour rester debout, nos genoux cédaient comme de jeunes arbres dans un tremblement de terre ; en un instant le courage désertait nos cœurs. Nous étions déracinés comme des épis morts sous la pelle du laboureur.
    Et l’on apprenait alors ce qu’était mourir. L’arme qui m’a transpercé aux Thermopyles était une lance d’hoplite égyptien, qui pénétra sous le sternum de ma cage thoracique. Mais la sensation ne fut pas ce qu’on aurait cru, ce ne fut pas celle d’être transpercé, mais plutôt assommé, comme nous les apprentis, la chair à hacher, l’avions ressenti dans la chênaie.
    J’avais imaginé que les morts s’en allaient dans le détachement. Qu’ils considéraient la vie d’un regard sage et froid. Mais l’expérience m’a démontré le contraire. L’émotion dominait tout. Il me sembla qu’il ne restait plus rien que l’émotion. Mon cœur souffrit à se rompre, comme jamais auparavant dans ma vie. Le sentiment de perte m’envahit avec une puissance déchirante.
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