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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers
Autoren: Jean-Pierre Charland
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attirer l’attention des clientes sur son visage.
    Rue Saint-Jean, il flâna un peu devant les vitrines. Des femmes attardaient leur regard sur sa longue silhouette, remarquaient son visage encore un peu émacié par les conditions d’existence des deux dernières années. Lui ignorait leur attention.
    Arrivé devant l’Auditorium, il constata la présence d’un grand nombre de jeunes désœuvrés allant en paire ou en trio. À leur façon de marcher d’une foulée régulière, avec un mouvement oscillant des bras, le dos bien droit, il reconnaissait des vétérans. Lui aussi devait encore aller au pas. Certains d’entre eux, en le voyant, esquissaient le geste de faire un salut militaire. Peut-être son allure trahissait-elle l’ancien officier. Plus probablement, ils se souvenaient de l’avoir aperçu en Europe ou sur le bateau, au moment du retour.
    Tous ces anciens soldats erraient devant les locaux du YMCA, ou alors entre les rangées de charrettes des cultivateurs entassées sur la place du marché Montcalm. Ils espéraient qu’un employeur vienne recruter l{ des manœuvres pour la journée. Ou encore ils rêvaient de se voir offrir, ou de subtiliser, de quoi payer le repas du midi. Certains tendaient la main sans vergogne en clamant, à tort ou à raison :
    — Pour un héros de Courcelette, la charité s’il vous plaît !
    Ceux qui pouvaient exhiber une manche ou une jambe de pantalon vide, une boiterie appuyée ou alors une « gueule cassée», c’est-à-dire un visage laissé déformé par une mauvaise blessure, affichaient une attitude un peu crâneuse. Les autres demeuraient discrets, honteux même. Tous espéraient pourtant l’obole d’un emploi pour assurer leur subsistance.
    En attendant cet heureux dénouement, quelques sous susceptibles de leur payer un repas feraient l’affaire.
    Au Canada, un peu plus d’un demi-million de soldats se trouvaient ainsi démobilisés. Sur ce nombre, le cinquième au moins souffrait de blessures physiques ou psychologiques les rendant inaptes au travail. Les autres trouvaient tout simplement closes toutes les portes des ateliers, des manufactures et des commerces. Les employeurs renvoyaient le personnel afin de faire face au ralentissement économique, ils ne recrutaient pas.
    Passé la rue d’Youville, le jeune homme monta { bord d’un tramway. Au moment de descendre, l{ où la rue Saint-Jean devenait le chemin Sainte-Foy, la ville faisait place aux champs. Le blé et l’avoine présentaient déjà une couleur verte très tendre. Assez distantes les unes des autres, les maisons de paysans cossus faisaient oublier la proximité de la ville. Dans les potagers, des femmes et des enfants se penchaient vers le sol afin d’en arracher les mauvaises herbes.
    — Voilà le monde que les fils de cultivateurs ne voulaient pas quitter pour aller à la guerre, grommela le vétéran. Je les comprends un peu.
    Ce monde-là disparaîtrait lentement, dans ces environs.
    Des édifices de services publics, ou conventuels, se dressaient déjà le long du chemin. Des promoteurs ne tarderaient pas à acheter des fermes pour en faire des lotissements. Le cimetière Belmont se trouvait près de la falaise, légèrement en retrait du chemin conduisant au village de Sainte-Foy.
    Un peu moins de cinq ans plus tôt, il était venu là afin d’enterrer Alfred. Il retrouva sans mal l’endroit au détour d’une allée ombragée. La pierre tombale de granit noir, un simple rectangle aux arêtes cassées, portait le nom du défunt et, juste au-dessous, celui de Marie. Pour elle, bien sûr, la date de la mort manquait toujours.
    — Cher papa adoptif, si la nouvelle histoire d’amour de maman finit par une noce, où allez-vous caser le beau Paul ?
    Comme elle ne voudra pas partager ses faveurs avec toi, je doute qu’elle le mette entre vous deux.
    Les veuvages assez fréquents forçaient bien des familles à gérer ce genre de situation délicate. Aucune femme ne devait se résoudre { un ménage { trois dans l’au-delà. Mais bien peu connaissaient une situation aussi alambiquée que celle des Picard de la rue de la Fabrique.
    — Pardon, c’est une mauvaise blague, marmonna-t-il.
    Je suis allé { la guerre et j’en suis revenu. Cela m’a rendu cynique, je le crains. Remarque, revenir n’est pas un accomplissement en soi. Toutefois, parmi ceux qui se trouvaient dans les tranchées, plusieurs ne peuvent en dire autant.
    De son vivant, Alfred aimait opposer le vent de
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