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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres
Autoren: Lucien Rebatet
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juste au-dessous, ceux des nouveaux locataires : Gustav, Wotan, Trommel. Dans la grande cour, des hommes jouaient au football. Un clairon marquait les buts en sonnant nos airs réglementaires, au milieu de grands éclats de rire.
    Je ruminais mon amertume.
    Quelques jeunes troupiers s’étaient installés à la même table que moi, après des politesses, selon la coutume allemande.
    « J’ai été moi aussi dans cette caserne, dis-je, mais avec un autre uniforme. »
    Les soldats riaient : « Il fallait donc y rester, me répondit l’un d’eux.
    — Nous pourrions peut-être bien y revenir.
    — Ça, c’est une autre affaire », répliqua un des garçons en français.
    * * *
    Mais je vois qu’il me faut reprendre ces choses dans leur ordre.
    Neuf années plus tôt, presque jour pour jour, je sortais pour la première fois de France, dans un train emmenant mille recrues dauphinoises garder au nord de Coblence la tête de pont du Rhin.
    Nous étions arrivés tard dans l’après-midi à Diez-sur-la-Lahn, un trou perdu du Hesse-Nassau, où notre régiment, le 150 e   d’Infanterie, tenait sa garnison. Les sergents et les caporaux des contingents précédents, presque tous basques ou tourangeaux, la fourragère jaune à l’épaule, avaient la plus martiale tournure. Mais au-dessus des casques bleus de Verdun et de la Champagne, au beau milieu du « perron » de la gare, une gigantesque et arrogante affiche nous accueillait : l’effigie du vieux seigneur de la guerre, du maréchal-président Hindenburg.
    Les « rempilés » qui avaient fait la Ruhr nous racontaient les fastes de l’inflation, les musettes bourrées de billets de cent mille marks, les oies de Noël à vingt-cinq sous la pièce. Mais pour nous, le mark était à six francs. L’intendance française vidait dans nos belles casernes ses plus antiques et crasseuses collections. Nous étions chastes comme des Vestales, affublés de capotes effilochées et verdies. Lorsque quelques curieux entêtés de mon espèce battaient le pavé des villes, Coblence, Mayence ou Worms, les schupos étincelants auxquels ils demandaient leur chemin écrasaient de leur superbe l’humble poilu couleur de brouillard.
    Les deux mille Anglais, superbes, cossus, considérés, s’étaient arrogé Wiesbaden, et il allait de soi, quand on nous voyait, que ce coin chic fût le domaine de tels « gentlemen ».
    Nos musiques ne jouaient pas dans les rues. Quand le régiment se déplaçait, nous attendions de longues heures, dans les gares de marchandises, que la nuit tombante voulût bien envelopper notre discret retour. La plupart des citadins toisaient avec mépris ces vainqueurs loqueteux et rasant les murs, exhalaient avec morgue l’humiliation d’avoir été battus par ces occupants honteux.
    Tandis que l’armée de Verdun servait ainsi à déshonorer la France sur le Rhin, l’Allemagne venait d’être accueillie à la Société des Nations.
    Un mois après mon arrivée à Diez, je m’abonnais à l ’Action Française.
    Comme beaucoup d’autres garçons de mon âge, j’avais, dès la sortie du collège, trouvé chez Maurras, chez Léon Daudet et leurs disciples une explication et une confirmation à maintes de mes répugnances instinctives. J’étais en politique du côté de Baudelaire et de Balzac, contre Hugo et Zola, pour « le grand bon sens à la Machiavel » voyant l’humanité telle qu’elle est, contre les divagations du progrès continu et les quatre vents de l’esprit.
    Je n’ai jamais eu dans les veines un seul globule de sang démocratique. J’ai retrouvé une note que j’écrivais à vingt ans, en 1924, pour un de mes amis, et où il était dit : « Nous souffrons depuis la Révolution d’un grave déséquilibre parce que nous avons perdu la notion du chef… J’aspire à la dictature, à un régime sévère et aristocratique. » À cette époque-là, pourtant, j’y pensais une fois tous les deux mois. Plongé dans la musique, la littérature et les grandes disputes sur nos fins dernières, je tenais pour dégradante la lecture de quelque journal que ce fût. Mais j’étais maintenant en Allemagne un figurant dans la démission de mon pays. J’éprouvais le besoin de faire un acte civique.
    Mon travail de journaliste politique, dans la suite, n’a jamais eu d’autre sens, n’a jamais été inspiré que par l’urgente nécessité de faire triompher quelques idées et surtout quelques méthodes saines. Mon plaisir
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